Tiédeur humaine

Par Fatym Layachi

L'hiver ne commence pas vraiment. La pluie ne tombe pas. L’avenir semble incertain. Tu n’as pas encore mis tes cols roulés en cachemire, tu ne les mettras peut-être pas du tout cette année. Tu n’as même pas envie d’être assise au coin d’un feu qui crépite. Tu n’as pas assez froid. Tu n’as pas assez chaud non plus pour imaginer une plage de sable fin.

Tu ne sais ni comment t’habiller ni de quelle destination rêver. Tu n’as pas envie de chocolat chaud. Tu ne rêves pas encore de cocktails pour autant, ça ne te semble pas de saison. Tu as horreur de ces moments de flottement. Tu préfères quand les choses de la vie sont nettes et tranchées. Et là, il est 17h, la journée n’est pas encore finie et la soirée n’a pas encore débuté.

Tu te demandes comment tu vas faire passer le temps ce soir, quel est le moyen que tu vas trouver pour t’endormir et espérer un lendemain qui ne te surprendra pas. Il n’y a rien. Et comme souvent, quand il n’y a rien, il y a Lui. Lui qui hante tes pensées. Lui qui ne sait rien de tes rêves, de tes drames, de tes chagrins, de ta déprime de 17h et de tes envies. À Ses yeux, tu n’es qu’une fille qui passe et qui a l’air d’aller aussi bien que sa manucure. À Ses yeux, ton bonheur est sans doute aussi lisse que ton visage sur papier glacé. Tu aimerais ne plus penser à Lui parce que tu sais que cette histoire ne mènera nulle part. Et à bien y regarder, cette histoire n’est même pas une histoire d’ailleurs. Il ne te regarde pas. Tu rêves de Lui en silence. Ton cœur bat plus vite quand tu forces le destin pour le croiser. Tu scrutes son activité sur les réseaux sociaux. Tu es à l’affût de n’importe quelle éventuelle rumeur le concernant. Tu sur-analyses la moindre photo postée sur Facebook sur laquelle on pourrait ne serait-ce que deviner son épaule. Ce n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler une histoire d’amour. Juste un énorme réceptacle où tu entasses toutes tes tristesses et déceptions. Le vase où tu noies tes échecs en tout genre. Une excuse pour ne rien remettre en question. Un prétexte tellement pratique pour faire des bêtises tout en gardant bonne conscience. Quand tu sors du cadre bien rangé de la vie en société tu peux toujours te dire que si tu déconnes c’est uniquement parce que tu es triste. Tu te perds dans des fêtes trop bruyantes et des bras trop froids, en cherchant des fragments de ce garçon idéalisé à chaque coin de vie. Les psys te diront que ce n’est pas de l’amour mais de la dépendance affective. Peut-être que c’est de cela dont il s’agit.

Après tout, qu’est-ce que tu connais de l’amour? Bien sûr que tu aimerais en avoir une belle, romantique, lumineuse vision, tu aimerais connaître son évidence, sa beauté, sa chaleur. Mais comme tu vois assez mal, en pratique, à quoi ça pourrait ressembler, tu te contentes de te dire qu’avoir le cœur brisé, explosé, déchiré et émietté c’est sûrement la preuve que tu en as un, de cœur. C’est ta seule définition de l’amour. Et ta seule référence, la voix de Bowie, qui résonne dans ta tête avec la constance d’un amant transi : “Love me, love me, love me, love me, say you do. Let me fly away with you” (Aime-moi, aime-moi, aime-moi, dis que tu m’aimes). “You’re spring to me, all things to me. Don’t you know, you’re life itself!” (Tu es le printemps à mes yeux, tout à mes yeux. Ne le sais-tu pas, tu es la vie elle-même).