Quel bilan pour le gouvernement Benkirane?

Quel bilan pour le gouvernement Benkirane? C'est ce qu'a débattu une brochette de politiques et d'intellectuels, dans une rare rencontre réunissant  El Khalfi, Omari et Iharchane.

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Le gouvernement Benkirane I, une certaine idée de la parité. Crédit: MAP
Crédit: MAP

Ils ont pratiquement dîné à la même table. Le 8 janvier, dans les locaux de la Fondation Abderrahim Bouabid, la petite salle de conférence accueillait pour un dîner-débat sur les bilans du gouvernement Benkirane des invités de marque, et de tout l’arc-en-ciel politique marocain : de l’exécutif représenté par son porte-parole le pjdiste Mustapha El Khalfi, à son antagoniste à l’opposition, le pamiste Ilyass El Omari, en passant par l’intellectuel adliste Omar Iharchane. Une brochette assez rare à réunir dans un seul endroit.

D’autres politiques, comme Karim Ghellab, Nizar Baraka, Khadija Rouissi, Mohamed Grine ainsi que des intellectuels de la trempe d’un Mohamed Tozy, ou encore Ahmed Aassid ou Abdessamad Dialmy ont pris la parole pour décortiquer l’action (ou l’inaction) du gouvernement Benkirane. Il en ressort un long débat sur la récente répression policière de manifestations d’enseignants stagiaires, mais aussi des réflexions sur le sort des réformes post-constitution de 2011, sur la situation économique et sociale du pays en prévision d’une année 2016 qui s’annonce comme chaude à cause des élections législatives à venir. Florilège qui n’a pas la prétention de l’exhaustivité.

Khadija Rouissi. Crédit: DR
Khadija Rouissi. Crédit: DR

Khadija Rouissi (élue PAM) : « L’individu n’est toujours pas maître de son destin »

« L’Amérique latine nous a appris ce que sont les occasions ratées […] il faut dépasser la violence, y compris la violence symbolique dans plusieurs dossiers (libertés individuelles, avortement, droit des femmes, etc.)

Nous sommes sortis de la famille élargie, mais nous conservons toujours les mêmes mentalités […] L’individu n’est pas maître de son destin. Le citoyen n’est pas souverain.

[…] Il faut généraliser l’enseignement du préscolaire à tous. »

Mehdi Mezouari. Crédit: DR
Mehdi Mezouari. Crédit: DR

Mehdi Mezouari (élu USFP) : « Il n’y a pas de véritable réforme »

«  La violence (des forces de l’ordre) ne m’a pas étonnée. Plus tôt, les chômeurs non-voyants et les médecins en avaient fait les frais, ne l’oublions pas. Je demande au gouvernement non pas seulement d’ordonner une enquête, mais de nous tenir au courant de ses résultats : qu’est-il advenu de l’enquête sur les violences contre les manifestants du Danielgate ? »

« (Concernant les manifestants des réprimées des enseignants), le responsable légal et constitutionnel nous dit qu’il n’est pas au courant (…) Malgré les limites de la Constitution de 2011, je suis attristé de voir le chef du gouvernement déclarer qu’il est un simple fonctionnaire. »

«(Lors du gouvernement Benkirane), le domaine social a été un dommage collatéral (augmentation du prix de l’eau et de l’électricité, augmentation du tarif des trains, etc.). Il n’y a pas eu de véritable réforme engagée. »

Le secrétaire général adjoint du PAM. Crédit: Rachid Tniouni
Le secrétaire général adjoint du PAM. Crédit: Rachid Tniouni

Ilyass El Omari (secrétaire général adjoint du PAM) : « Si j’avais la puissance que l’on me prête, je me serai rendu fort moi-même »

« Les élites déclarent qu’elles ne connaissent pas qui est au centre de l’autorité et qui est à l’extérieur. Si nous-mêmes tenons ce discours, que vont se dire les citoyens lambda ? »

« Si j’avais la puissance que l’on me prête, je me serai rendu fort moi-même ».

« Il n’y a pas un bilan, mais des bilans : celui du gouvernement, mais aussi celui de l’opposition qu’elle soit parlementaire, non parlementaire et aussi à l’extérieur des institutions. Leur point commun ? Ils se rejoignent tous dans « l’occulte du pouvoir» : ils font tous porter le chapeau à une force occulte, indéterminée ».

« Des gens ont été tabassés dans la rue, donc quelqu’un en est l’auteur. Et ce quelqu’un, ce sont les forces de police et c’est le ministre de l’Intérieur  qui est responsable de donner les ordres, et ce dernier dépend du gouvernement. S’ils dépendent d’un autre pays, ce que je ne pense pas, qu’on nous le dise ! »

« Le bilan du gouvernement n’est pas à 100% mauvais, tout comme les réalisations positives ne sont pas à mettre au crédit de se seul gouvernement. Les Marocaines et les Marocains ont fait des sacrifices pour en arriver là, et le Maroc n’était pas en faillite (avant de l’arrivée de l’actuel gouvernement) ».

« Attention au manichéisme : le bien et le mal, la pureté contre la souillure… On cherche à dire aux Marocains qu’il faut faire ce choix (…) il est dangereux d’affaiblir les partis ».

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Abdessamad Sadok (SG Transprency Maroc) « De l’enthousiasme à l’impuissance » face à la corruption

« Nous sommes passés d’un discours enthousiaste (concernant la lutte contre la corruption), à Aafa Allah Aan Ma Salaf puis à ce que je juge comme étant hautement dangereux : l’aveu d’impuissance face au lobby de la prévarication. Je ne sais pas si le chef du gouvernement mesure le poids de cette déclaration. »

Yasser Charafi. DR

Yasser Charafi, économiste : « Manque de lisibilité » des réformes

« La réforme de la caisse de compensation est positive et il faut reconnaître que des choses ont été faites. Mais trois faits entachent le bilan.

Tout d’abord, la persistance de décisions absurdes et irrationnelles comme le blocage de la VoIP, certaines interventions policières, l’affaire Ikea… cela crée un climat d’insécurité profonde notamment pour le milieu des affaires.

Ensuite, les réformes ne sont pas lisibles et nous n’avons pas le sentiment d’aller vers quelque chose. Et pour cause : nous abusons trop du mot « réforme ». Par exemple : la restructuration de l’ONE (Office national de l’électricité) a été annoncée comme une réforme, alors qu’elle entre dans le cadre du travail gouvernemental normal.

En troisième lieu, il y a un problème de priorité. À force de vouloir faire beaucoup de choses, nous avons un rythme illisible et on finit par ne se souvenir de rien. Paradoxalement, cela traduit un manque d’ambition qui conduit à un sentiment d’immobilisme. »

Omar Iharchane. Crédit: DR
Omar Iharchane. Crédit: DR 

Omar Iharchane (membre du cercle politique d’Al Adl Wal Ihssane) : « Nous n’avons pas réconcilié le citoyen avec la politique»

« Il ne faut pas nous comparer aux états du Machrek en faillite. Oui, le Maroc a une profondeur arabo-musulmane, mais il a toujours été plus proche de l’Andalousie que du Hijaz. »

«Nous avons échoué à rendre attractif le jeu politique et nous n’avons pas réconcilié le citoyen avec la politique. Les gens ne se sont pas inscrits dans les listes : les élections minoritaires ont donc débouché sur un gouvernement minoritaire.  Nous avons aussi échoué à élaborer une Constitution que l’on mérite, puis à en faire une « interprétation démocratique ». Là on se dirige vers des élections en 2016, le taux de boycott sera encore plus important. Mais il y a un aspect positif : celui qui a boycotté est descendu dans la rue. Qui aurait cru que les médecins, les manifestants contre Amendis auraient pu tenir si longtemps ?»

Mustapha el Khalfi lors du point presse après le conseil de gouvernement.
Mustapha El Khalfi. Crédit: AFP

Mustapha Khalfi (PJD, Ministre de la communication, Porte-parole du gouvernement) : « Beaucoup a été fait »

« Les efforts contre la corruption et la prévarication ne sont pas suffisants encore, mais beaucoup de choses ont été faîtes : il y a un nouveau climat dans lequel se sont inscrits par exemple les forces de l’ordre, des juges ont été sanctionnés, etc. Une des mesures préconisées par la Fondation Bouabid elle-même a été appliquée : nous avons publié la liste des détenteurs de carrière de sables. Par la suite, nous avons élaboré une loi qui garantit la concurrence juste. Résultat : le Maroc a gagné 11 points dans l’indice de l’ONG internationale Transparency.»

« Concernant les élections, nous notons une confiance retrouvée. Ils ont été 3 millions de jeunes à s’inscrire sur les listes électorales lors du dernier scrutin. Le nombre de votants est passé de 5 millions en 2011 à 7 millions.»

« La liberté d’expression est une réalité et les marges sont grandes.  Sur Facebook par exemple, il existe plus de 9 millions de pages marocaines.»

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