Zakaria Boualem. La victime de l’année: la pudeur marocaine

Par Réda Allali

Soyons honnêtes, c’est sans regrets particuliers que Zakaria Boualem s’apprête à quitter cette pénible année 2015. Voici toutefois, pour l’histoire, une petite compilation des meilleurs moments que nous aura offert ce cru puissant. C’est parti, donc, et merci.

La victime de l’année: la pudeur marocaine. Elle a souffert, la malheureuse, en cette année funeste. Rappelons que la première attaque est venue d’un film que personne n’a vu mais que tout le monde a cherché sur Internet. Les statistiques de Google sont un monument à la gloire de notre hypocrisie. Le temps que l’intifada électronique se calme un peu, et c’est Jennifer Lopez qui est venue agiter son mythique fessier sur nos écrans familiaux, suivie de près par un musicien militant de la cause du mariage homosexuel. Deux malheureuses jeunes filles ont fini en taule pour avoir porté une jupe en plein ramadan, il fallait bien que quelqu’un paie pour tous ces affronts. Nous avons besoin d’une thérapie.

Le geste technique de l’année: La non-conformité d’Ikea. Même plusieurs semaines après les faits, cette histoire est toujours aussi irrésistible. Les faits: vexé par une décision que le gouvernement suédois n’a pas vraiment prise, le Maroc interdit l’ouverture d’un magasin qui n’est pas vraiment suédois, sous prétexte qu’il n’est pas vraiment conforme. Tout le monde s’insurge en même temps, et soudain plus rien. Ça s’est arrêté aussi brutalement que ça avait commencé. C’était splendide.

Entreprise de l’année: Daech pour la seconde année consécutive. Les spectaculaires illuminés du Levant imposent leur cadence infernale. Derrière, la concurrence marque le pas, à commencer par Boko Haram qui, malgré des chiffres remarquables, souffre d’un lourd déficit d’image. En douze mois, les barbus nerveux ont squatté tous les écrans possibles. Ils ont forcé les braves internautes, peu habitués à pareils efforts, à se poser un nombre important de questions métaphysiques. Suis-je Charlie, pourquoi ont-ils des Toyota, qu’est-ce que la liberté d’expression, suis-je raciste, si oui contre qui, faut-il privilégier la liberté ou la sécurité, l’islam est-il en cause, les français sont-ils malades, Donald Trump est-il vrai, l’ont-ils un peu cherché, combien sont-ils au juste, est-ce que c’était mieux avant et pour qui… Tout ceci est terriblement angoissant, on frôle la surchauffe collective. Heureusement que certains de leurs plus brillants représentants se dévouent de temps en temps pour nous détendre un peu, et rappeler l’absurde du truc, via de petites vidéos hilarantes, avec des refrains r’n’b autotunés où ils nous parlent de califat avec l’accent des cités belges, et ponctués de Machaa Allah mon frère.

Héros de l’année: le Maroc. Oui, les amis, un flot continu de gloire s’est déversé sur nos têtes pendant toute l’année. En vrac: nos services de sécurité ont déjoué des attentats à l’étranger, nos experts du tourisme sont appelés à la rescousse par les îles Salomon, nous sommes désignés « puissance solaire mondiale » par CNN, les cinéastes rendent hommage à notre recherche spatiale, et –suprême bonheur-nos moqaddems sont désormais présentés comme un modèle mondial. A quoi ils faut ajouter l’armée de ceux qui s’enthousiasment chaque jour pour notre démocratie et notre stabilité. C’est prodigieux!

La face de l’année: Madame Charafat Afailal est ministre déléguée auprès du ministre de l’Energie, des mines, de l’eau et de l’environnement. C’est une tâche ardue qui lui a absorbé une bonne partie de sa lucidité au moment de se présenter sur un plateau télé, la pauvre! Interrogée sur le montant des retraites réservées aux anciens ministres et aux parlementaires, cette dame a répondu en substance, avec une moue dédaigneuse, qu’il ne fallait pas l’ennuyer avec ce genre de questions populistes portant sur des sommes misérables. En affichant ainsi son mépris décomplexé des Marocains, la dame a mérité haut la main son prix. Respect, Madame.

Pour terminer, Zakaria Boualem voudrait distinguer un héros marocain de la drague cybernétique, Simo Adala, qui a convaincu une Américaine de tout plaquer pour le rejoindre, un geste technique surréaliste, l’annulation de notre propre CAN, et également Abdeljabbar Majhoul, ce mystérieux opérateur de nos télévisions nationales qui avait décidé de diffuser, lors de nos infos, des reportages agressifs pour le régime égyptien.

C’est fini, les amis, bonne année, et merci.