Kiarostami : "Je ne cherche pas à être un assistant social à travers mon cinéma"

Le cinéaste iranien Abbas Kiarsotami se confie à telquel.ma sur sa manière de faire du cinéma ainsi que sur ses engagements.

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Le cinéaste iranien Abbas Kiarostami. Crédit : Yassine Toumi

Avec ses lunettes noires, comme à son habitude, l’un de maîtres incontestés du cinéma international Abbas Kiarsotami a accepté de nous rencontrer le 9 novembre et de nous délivrer quelques astuces qui ont permis à ses films d’êtres des chefs d’oeuvre. Il nous explique aussi comment il voit l’engagement dans le cinéma. Une leçon délivré par un cinéaste, qui voulait devenir peintre mais qui est tombé dans ce milieu de manière accidentelle. Un « accident » qui a enfanté un monument du 7e art.

Dans votre film Le goût de la cerise, qui a obtenu la Palme d’or au Festival de Cannes, vous vous êtes attaqué au thème du suicide. N’aviez-vous pas peur des réactions négatives que cela pouvait susciter dans le mesure où ce thème est un tabou dans les sociétés musulmanes ?

Je pouvais bien sûr m’attendre à ce qu’il y ait des interprétations ou un malentendu de la part des gens qui croient que ce film met en avant le suicide. J’ai été assez clair et déterminé pour dire que mon cinéma est tellement à la gloire de la vie et à la vitalité, que le malentendu pouvait être dissipé en échangeant quelques mots. Je n’avais pas de crainte de ce côté. Au delà de cela, il y a la vraie question dans nos sociétés, la vôtre aussi, qui est celle-ci : pourquoi le tabou ne peut pas être approché ? pourquoi devrait-on être dans la crainte quand on traite un tabou?

Dans quasiment tous vos films, on retrouve une voiture et un »champ contre champ » singulier. Pourquoi insister sur cette même manière de filmer ?

Ce n’est pas du tout une signature. C’est tout simplement dû à mon expérience de la vie. Mon cinéma ne se base ni sur la littérature ni sur le théâtre ni sur les règles du cinéma. Mon cinéma ne me vient que de la vie et ne m’est enseigné que par elle. Si nous observons une conversation quotidienne, nous sommes assis tous les deux à une distance considérable même si nous ne sommes pas dans voiture, on se regarde successivement et on se parle naturellement. Pour ma pat, je n’ai jamais cherché à imposer un style. La vie m’a fait comprendre que les conversations se font comme ça et moi je les retranscris dans mes films.

Le couple, la vie à la campagne, l’enfance sont vos sujets de prédilection. Pourquoi avoir opté pour ces problématiques universelles où l’on ne voit pas, contrairement à d’autres cinéastes iraniens, les défaillances ou les points positifs de la société iranienne ? Vos films peuvent finalement se dérouler n’importe où…

Je ne veux pas critiquer mes confrères et mes consœurs mais je crois que chacun d’eux choisit un thème qui répond à ses propres besoins et à son propre élan. Le problème se complexifie quand des personnes de l’extérieur attendent d’un cinéaste de régler les problèmes de la société ou qu’il représente les problèmes de la société à travers son cinéma. Pour moi, c’est une demande et une attente déplacées. Un artiste n’a ni le rôle ni la vocation ni le pouvoir de changer quoi que ce soit en faisant ses films. C’est parce que j’ai conscience de mon impuissance que je m’attarde dans mes films sur des choses plus primaires qui sont les éléments de base de notre existence à tous et de cette façon je me départis de cette ambition ou illusion de pouvoir changer le monde à travers un film que je fais. Il me semble qu’en partant de cette base qu’on peut apporter des réponses plus globales et fondamentales que de vouloir avoir un impact spécifique sur un problème précis. En adoptant cette approche, je déplace mon intention et je suis sûr qu’en faisant du cinéma, je ne cherche pas à être un assistant social.

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