Ta vie en l'air. En mal de fraternité

Par Fatym Layachi

Depuis une semaine, tu passes sans doute trop de temps scotchée devant un écran télé, à scruter les news et la moindre tribune. Tu regardes, écoutes et lis tout ce que tu peux trouver sur ce même sujet: l’horreur qui fait couler le sang des innocents de Bamako à Paris, du Nigeria au Liban. Les monstres qui tuent, décapitent ou violent de pauvres gens souvent sans défense et dont l’unique crime est de ne pas penser comme eux. Et bien évidemment tu es horrifiée. Alors tu continues à regarder, écouter et lire tout ce qui se dit et s’écrit à ce sujet. Une expression revient assez souvent: « la communauté musulmane ». Toi cette expression tu la trouves étrange et dérangeante.

La communauté musulmane! Qu’est-ce que c’est donc censé représenter? La communauté pour toi c’est un truc viscéral. Ça peut être très beau quand il s’agit des liens du sang ou ceux du cœur. Ces liens intimes, ces liens privés donc. Mais tu ne vois pas trop en quoi les sentiments communautaires devraient régir la vie publique. Dans le privé, bien évidemment que ça peut être joli, touchant et bienveillant, mais dans la sphère publique ça se transforme assez vite en communautarisme. Et tu ne trouves pas ça vraiment positif. D’ailleurs, ne serait-ce que l’expression de « communauté musulmane », tu la trouves presque aussi vide de sens qu’une éventuelle « communauté des roux ». En quoi des gens qui n’ont sans doute rien à voir si ce n’est la direction dans laquelle ils prient ou la couleur de cheveux pourraient être qualifiés de communauté? Ce qui doit unir doit être ou beaucoup plus raisonné, et dans ce cas c’est une communauté à laquelle par conviction tu choisis d’appartenir, ou alors beaucoup plus simple. Et du coup ça ne nécessite ni intelligence ni réflexion. Cela s’appelle la fraternité. Cette même fraternité qui fait que si toi, ou n’importe qui, voit un gamin sur le point de tomber dans l’eau, se jette sur lui pour le sauver sans rien savoir de son histoire, de son identité ou de sa religion. C’est parce que tu es un être humain que tu chiales et as mal à chaque tragédie, à chaque fois que des innocents crèvent sans raison. Qu’ils soient à Boston, Gaza, Maiduguri ou Paris tu es touchée par l’injustice dont tes frères humains sont victimes. Tu n’as pas plus mal quand ils sont musulmans et tu n’as sûrement pas moins mal quand ils ne le sont pas. Les attentats, tu les condamnes en tant qu’être humain, pas particulièrement en tant que musulmane. Pourquoi pas les condamner en tant qu’artisan boucher ou en tant que polyglotte aux cheveux courts tant qu’on y est?

Le communautarisme gomme l’empathie basique d’un individu, d’un être humain de chair et de sang. Mais toi tu ne veux pas de cette solidarité mécanique. Tu chiales parce que tu es humaine. En tant que musulmane, tu es triste, triste et atterrée que des crétins sauvages au service d’une idéologie de la terreur osent se réclamer d’un dieu dont la miséricorde a beau être infinie, il ne saurait pardonner à ces monstres. Et en ces jours atroces pour l’humanité où ta religion est souillée par des fous, par des barbares sanguinaires, tu n’as surtout pas envie que ce sentiment d’appartenance communautaire serve d’excuse grotesque pour ne rien dire. On ne dénoncerait pas ses cousins, c’est ça l’esprit de clan? Mais non, ces monstres ne sont pas tes cousins. Et puis non, tu ne vas pas te désolidariser d’eux. Parce que pour ça, encore faudrait-il que tu aies été solidaire à un moment. Et c’est justement de cette illusion de sentiment commun que les monstres profitent, c’est sur cette faille-là, sur cette brèche qu’ils s’appuient pour attirer dans leur giron maléfique des âmes perdues, sans doute en mal de fraternité.