Zakaria Boualem ne comprend pas Daech

Par Réda Allali

L’heure est grave, les amis. Inutile de rappeler les faits, vous savez tous où nous en sommes. On connaît désormais la procédure. Un drame, des réactions, quelques infographies, les gens qui se prennent pour des institutions, la ronde de la police de l’indignation, puis la politique et son cinéma, un peu de complot, retour à la case départ, et merci. Zakaria Boualem n’a rien de bien brillant à partager avec vous, si ce n’est la conviction de vivre dans un monde de plus en plus dégueulasse. Au fatras de commentaires plus ou moins inspirés qui ont déferlé sur nos écrans, il n’a pas grand-chose à ajouter. C’est une attitude d’autant plus logique que le Guercifi ne comprend rien à ce qu’il se passe autour de lui.

Daech, par exemple, il ne comprend pas. Il ne comprend pas comment ils vendent leur pétrole, comment ils gèrent leur fric, pourquoi ils ont Internet alors qu’on le lui coupe dès qu’il oublie une facture, comment ils tournent leurs spots, où ils achètent leurs véhicules et leurs armes, et pourquoi ils ne sont que 30 000 et qu’ils résistent à une coalition mondiale, et pourquoi ils laissent traîner des passeports à chaque fois qu’ils vont faire une saloperie. Il lit un peu partout qu’ils sont financés par des pays que tout le monde connaît. Il aimerait bien y croire, ça le rassurerait de trouver une cohérence dans ce chaos, mais il n’arrive pas à comprendre le raisonnement. Il n’arrive même pas à imaginer qu’on échafaude des plans sur dix ans dans un tel bordel où tout change tous les jours. Il ne comprend pas non plus pourquoi on n’a pas saisi qu’il fallait régler le problème de la Palestine, ni comment on arrive à déclencher des guerres en exhibant des fioles pleines de talc à l’ONU sans être inquiété, encore moins comment on continue avec les mêmes méthodes qui mènent à plus de violence, et plein d’autres choses encore. Zakaria Boualem est bien conscient qu’il essaye de réfléchir plus haut que son QI. Et puis, il faut qu’il vous avoue un truc, même si c’est un peu délicat. A chaque fois qu’il regarde les vidéos des spectaculaires illuminés du Cham, il est pris d’une honteuse envie de rigoler. Les types ont l’air déguisés pour Halloween, avec leur accent et leur histoire de califat, leur obsession des vierges, leurs pseudos de bandes dessinées, leur ignorance religieuse qu’ils cachent à coups de machaAllah, et leurs refrains r’n’b qu’ils autotunent comme tout le monde. Ils sont tragiques, mais grotesques. Même Tintin n’aurait pas osé inventer un Abou TakTak à affronter.

Maintenant, parlons un peu de nous, les amis. Oublions les complots, les pourquoi, les pourquoi pas et les comment, et regardons-nous le nombril tranquillement. Nous avons un problème. Il suffit de lire deux secondes notre prose collective pour réaliser que nous avons beaucoup de difficultés à accepter ce qui ne nous ressemble pas. La fameuse tolérance marocaine, on ne sait trop pourquoi, disparaît dès qu’elle passe au travers d’un clavier. On s’insulte pour une photo de profil, on s’écharpe pour un drapeau, on se menace les uns les autres d’égorgement sans trop d’état d’âme. Annoncer un meurtre n’est plus un tabou. On voudrait bien compter sur l’école pour redresser le tir, mais bon, vous avez compris qu’on ne pouvait pas trop compter sur elle, la pauvre. On aimerait bien compter sur nos élites pour diffuser la bonne parole, mais apparemment elles ont d’autres priorités, il faut les comprendre. Du coup, une masse immense de jeunes Marocains se retrouve livrée en pâture à une idéologie belliqueuse que rien ne vient contrer au quotidien. Au final, nous avons un problème avec l’autre, avec la différence, et même avec la simple idée de culture: nos chanteurs se croient obligés d’expliquer qu’ils ont honte de produire leur art, qu’ils vont rapidement rentrer dans le droit chemin. Oui, si on est honnête avec nous-mêmes, on sait qu’il y a un boulot immense, et que tout ceci n’est que le début. Zakaria Boualem vous salue tristement, et merci.