Omar Saghi. Russie-sur-Mer

Par Omar Saghi

Une des premières choses que font les Russes, lorsqu’ils arrachent la Crimée à l’Empire Ottoman à la fin du XVIIIe siècle, est de créer des lieux de villégiature pour leurs aristocrates.

Ce n’est pas de sitôt, certes, que la côte syrienne deviendra une Riviera pour oligarques russes, mais la campagne militaire lancée par Poutine en soutien à Al Assad puise dans une tradition ancienne. On pense à Moscou soutenant Nasser ou Al Assad père, mais il ne faut pas s’arrêter au dernier demi-siècle. La Russie cherche depuis plusieurs siècles à atteindre deux objectifs géopolitiques: conquérir Constantinople (plus largement, devenir ou redevenir la puissance impériale héritière de Byzance), et acquérir un balcon sur les « Mers chaudes », ces eaux magiques qui ne gèlent pas, à la différence du Golfe de Finlande.

Il est donc normal que Saint-Pétersbourg se confronte à Ankara. Après Moscou l’orthodoxe contre Istanbul la sunnite, Saint-Pétersbourg l’Eurasiatique contre Ankara la Méditerranéenne. Mais la similarité des situations ne s’arrête pas là. L’Empire Ottoman trouvait des alliés intéressés en Occident. Ce dernier ne se bornait pas à armer Istanbul contre les Russes, il lui arrivait aussi de former des alliances ambiguës avec des mouvements rétrogrades contre les forces modernisatrices locales. On pense au soutien anglo-saxon aux Wahhabites contre Mohammed Ali l’Egyptien.

Al Sissi n’est pas Mohammed Ali Pacha, Daech n’est pas le premier royaume saoudien, mais la configuration reste étrangement la même. On peut la résumer de la manière suivante. La Russie est une puissance continentale, formant une domination continue sur un vaste espace enclavé. Elle cherche une fenêtre sur les océans.

Au Moyen-Orient, des puissances locales ou nationales émergent et cherchent à se moderniser, c’est-à-dire à combiner la puissance militaire et technologique avec le despotisme politique. Ces puissances locales vont former une alliance avec la puissance eurasiatique: Khrouchtchev et Nasser, Brejnev et Al Assad père, aujourd’hui Poutine et Al Assad fils, ou encore Poutine et l’Iran… Il arrive qu’à la Russie s’ajoutent d’autres puissances continentales: la Chine, la France gaulliste…

Face à cette alliance russo-orientale, se forme fatalement un protagoniste occidental-oriental. L’Occident maritime et libéral cherche à sécuriser ses routes et à empêcher l’empiètement de l’ours russe. Mais à la différence des Russes, les Occidentaux n’ont pas un, mais deux types d’alliés. D’abord les Etats pro-occidentaux, faibles et riches à la fois, inégalitaires, ouverts sur le commerce international, insignifiants politiquement. Hier l’Empire Ottoman finissant, aujourd’hui la Jordanie ou les Emirats.

Ensuite des mouvements ou des proto-Etats de type archaïque: hier Wahhabites du Nadjd ou Talibans de Kaboul, aujourd’hui Daech. Ce qui permet d’expliquer l’étrange attelage des coalitions occidentales en Orient: Riyad l’utra-islamique alliée aux Phalangistes chrétiens du Liban dans les années 1980, le Pakistan pro-américain de Pervez Musharraf allié aux Talibans dans les années 2000, aujourd’hui la Turquie mondialisée d’Erdogan alliée à Daech. Face au binôme russo-oriental, les Occidentaux forment une tenaille composée de places boursières et de milices médiévales.