Peine de mort : « Le projet de code pénal porte la trace du sang »

Modernité, conservatisme, humanisme, irréversibilité, droit à la vie, réinsertion : les militants des droits de l’Homme tentent d’imposer un débat national sur la peine de mort, alors que des magistrats continuent de prononcer des peines capitales.

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Crédit : Mehdi Hasan Khan/wikipedia

Amnesty International classe le Maroc parmi les pays « abolitionniste en pratique ». S’il est vrai que la dernière exécution remonte à 1993, la justice continue pourtant de prononcer des peines capitales, comme se fut le cas en septembre dernier par exemple. Alors, à la veille de la journée mondiale contre la peine de mort du 12 octobre, les abolitionnistes marocains mettent un coup d’accélérateur pour le plaidoyer.

Parmi les arguments bien sûr, le droit à la vie mais aussi l’irréversibilité de la peine. Driss El Yazami, président du Centre national des droits de l’Homme (CNDH) invité à l’Ecole de gouvernance et d’Economie de Rabat le 7 octobre, rappelle la possibilité d’erreurs judiciaires. Pour lui, la peine de mort est aussi à abolir parce qu’elle ne touche que les couches les plus vulnérables de la société, qui ont parfois du mal à se défendre.

Aussi, cette peine est contraire au rôle même de la sentence, expliquait lors de la même conférence Nadia Bernoussi juriste membre la Commission consultative de révision de la constitution : « Quand un Etat exécute c’est un meurtre étatique alors que normalement une sanction est faite pour qu’il y ait réhabilitation, insertion, mais on ne peut pas faire cela sur quelqu’un qui est mort ». Elle ajoute aussi qu’il est absurde de préserver cette peine alors qu’au Maroc » l’indépendance de la justice et le droit à un procès équitable ne sont pas garantis ». Les abolitionnistes citent également des études qui prouvent qu’il n’y a aucune corrélation entre l’existence de la peine de mort et la criminalité d’un pays. Bref, cette sanction n’est pas dissuasive, selon eux.

En 2014, un rapport accablant relater les conditions de détention effroyables de quelques 100 condamnés à mort . Parmi les points noirs : l’interdiction pour eux de préserver un lien avec leur famille.

Constitution versus religion

Aujourd’hui, les abolitionnistes se mobilisent. Le site marocain Tudert.ma financé entre autres par l’Union européenne, rassemble des informations sur la peine de mort. Des parlementaires pour l’abolition sont rassemblés en coalition depuis deux ans et demi. Ils sont actuellement 240, de tous les partis représentés au parlement, hormis le PJD. De son côté, le Conseil national des droits de l’Homme s’est aussi prononcé en faveur de l’abolition. Mais comment comptent-ils mener leur plaidoyer ? Le droit existant leur apporte déjà beaucoup étant donné que la Constitution de 2011 consacre le droit à la vie. Aussi, les experts rappellent l’application des recommandations de l’Instance équité et réconciliation validées par le roi Mohammed VI, et parmi lesquelles figurent justement l’abolition de la peine de mort.

Ces militants comptent bien sûr sur le débat relatif à la réforme du code de procédure pénale. La mouture du texte proposé par Mustapha Ramid consacre la peine de mort, même s’il limite le nombre de crimes qui y sont soumis à 11 contre 33 actuellement, ce qui pousse Abderrahmane Jamaï, bâtonnier coordinateur de la coalition marocaine contre la peine de mort à déclarer que « ce projet porte la trace du sang ».

Le ministre de la Justice est clair : d’après lui, « le principe de droit à vie n’est nullement en contradiction avec la peine de mort ». Quels sont les arguments de ces personnes pour le maintien de cette peine ? « Principalement la religion », nous explique Nouzha Skalli, élue PPS elle aussi présente lors de l’événement. « Mais qu’est ce qui est le plus grave, couper la main ou couper la tête ? Les oulémas nous disent ‘ c’est écrit ‘ mais couper la main aussi, l’esclavage aussi. », commente la porte parole du réseau de parlementaires.

L’argument religieux n’est pas valable non plus pour Abderrahmane Jamaï, bâtonnier coordinateur de la coalition marocaine contre la peine de mort, qui explique que le droit pénal marocain ne puise pas ses origines dans la charia. Nadia Bernoussi ajoute : « L’Etat n’est pas le médium entre lui [dieu,ndlr] et moi. Seul celui qui m’a donné la vie peut me l’ôter ».

La société pour ou contre ?

Autre argument des rétracteurs : la population ne serait pas en faveur de cette réforme. Mais jusqu’à présent, aucun sondage ne le prouve, soutiennent les abolitionnistes. Aussi, Nouzha Skalli raconte : « Lors d’une manifestation contre la pédophilie la groupe de femmes criaient qu’il fallait les condamner à mort. Après avoir parlé cinq minutes avec elles, elles avaient changé d’avis ». Une anecdote qui confirme le discours de Driss El Yazami. Pour lui, « le débat parlementaire sur le code de procédure pénale sera important mais ce qui est essentiel c’est le débat dans la société civile. Ma conviction est que la société marocaine dans sa majorité est favorable à l’abolition ».

Prochaine échéance : 2016, où le Maroc aura l’occasion de signer le moratoire des Nations unies sur la peine de mort, que la Tunisie et l’Algérie ont par exemple approuvé mais sur lequel le Maroc préfère s’abstenir. Une position réitérée en 2014. Au niveau national : des parlementaires ont déposé un projet de loi pour l’abolition il y a plus d’un an mais il n’est toujours pas inscrit au calendrier législatif.

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