Récit de la rencontre de Benkirane et El Khalfi avec les « influenceurs » du web

Pour le lancement de sa page Facebook, le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane a invité les « influenceurs » du web au siège du PJD. Quel a été le but de cette rencontre? Comment s’est-elle déroulée ? Récit.

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Crédit : Riad Essbai

Le samedi 13 juin, Abdelilah Benkirane a invité plusieurs « influenceurs » marocains du web pour ce qui devait être un déjeuner chez lui. Finalement, la rencontre s’est déroulée au siège du PJD « pour des raisons de confort et de logistique ». Driss Slaoui, fondateur du portail Welovebuzz et le blogueur Riad Essbai, invités à l’événement, témoignent.

Crédit : Driss Slaoui/WLB
Crédit : Driss Slaoui/WLB

« La rencontre a commencé à 11h30 avec un discours d’Abdelilah Benkirane », nous raconte Driss Slaoui. Un discours qui a porté sur « les accomplissements du PJD de manière générale », ainsi que sur les « décisions entreprises par le gouvernement ces dernières années », nous confie le fondateur de Welovebuzz. Un discours qui a duré « environ 45 minutes » pour laisser place aux questions-réponses. « Personne ne lui a lancé de fleurs, les invités en ont profité pour avoir des explications sur les décisions prises dans le domaine de la santé et de l’éducation », rapporte le jeune entrepreneur. Abdelilah Benkirane en a d’ailleurs profité pour réitérer sa volonté d’instaurer un service sanitaire obligatoire dans des zones reculées pendant deux ans aux médecins diplômés. « Même si vous réunissez la population de la Chine devant moi, je ne reviendrai pas sur ma décision », a-t-il expliqué au fondateur de Welovebuzz, justifiant la rémunération mensuelle fixée à 2000 dirhams de ce passage obligatoire par le fait que « la médecine est un métier noble. Il faut faire des sacrifices et l’assumer ».

Ce qui peut s’apparenter à une opération de séduction des jeunes actifs sur les réseaux sociaux à la veille des élections ne serait en réalité « qu’une opération de communication pour le lancement de la page Facebook », selon le blogueur Riad Essbai. « C’était des discussions légères, comme si on était sorti prendre un verre avec le chef de gouvernement », raconte l’ex social media manager du portail d’information H24Info. Riad regrette « des discussions peu consistantes et le discours paternaliste du chef du gouvernement ». Un avis que ne partage pas forcément Driss Slaoui qui a apprécié « le côté cool » de ce meeting. « On était à l’aise avec lui. Ce n’est pas quelqu’un qui te prend de haut, tu peux même lui raconter des blagues », note le fondateur du portail spécialiste en contenu viral.

El Khalfi veut séduire les internautes

Juste après les questions-réponses, qui ont quand même duré « jusqu’à 16h15 », selon Driss Slaoui, place au déjeuner. Le menu se voulait simple. « Une salade préparée chez Benkirane et un tajine de btata bzitoune proposé par le siège du parti. Au dessert, de la pastèque et du melon », raconte le fondateur de Welovebuzz. Trois tables ont réuni ces « influenceurs », dont deux ont été présidées par Abdelilah Benkirane et Mustapha El Khalfi. « Le ministre de la communication était silencieux toute la journée, il ne faisait que tweeter », rapporte Riad Essbai. Pour lui, « El Khalfi est le grand gagnant de cette rencontre ». Juste après le déjeuner, les conviés l’ont approché pour lui poser des questions, notamment sur l’interdiction de Much Loved. « Je lui ai demandé s’il avait regardé le film pour décider de l’interdire. Le ministre m’a confirmé que non et que les extraits qu’il avait visionnés étaient suffisants pour décider », nous confie Driss Slaoui.

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« Le ministre de la communication a profité de sa présence pour créer un lien avec les influenceurs », analyse Riad Essbai. « N’hésitez pas à venir vers moi si vous avez des projets et que vous avez besoin de soutien », aurait-il soufflé aux invités. Mustapha El Khalfi a même communiqué son numéro de téléphone à l’ensemble des invités. « Il a même insisté pour qu’on le bippe, comme ça il gardait nos contacts », nous confie Driss Slaoui. El Khalfi aurait invité les porteurs de projets à se rendre à son cabinet « sans rendez-vous » au cas où ils souhaitaient rencontrer le ministre. « D’ailleurs, certains seraient en train de lui rendre visite ce lundi », nous confie Riad Essbai. « Je lui (Mustapha El Khalfi, ndlr) ai demandé pourquoi ils ne demandaient pas l’avis des professionnels du web lorsqu’ils lancent des chantiers comme le portail sur le Sahara », nous raconte Riad Essbai. Chose à laquelle le ministre a remédié en invitant les personnes intéressées à « consulter une version bêta du site et à fournir leurs commentaires à ce sujet ».

Une opération de com’ qui vire au bad buzz ?

Si Riad Essbai précise « qu’à aucun moment on leur a demandé de tweeter ou de poster quelque chose sur leurs profils et qu’ils n’ont reçu aucun cadeau de la part de Benkirane ou du parti », il regrette néanmoins que cette rencontre ait été sujette « à une récupération politique, notamment de la part du parti de l’Istiqlal ». Chouf TV (portail d’information proche de l’Istiqlal) a titré « C’est ainsi que la chabiba de Benkirane s’est moquée de lui et du tajine aux pommes de terre ». Dans son article, Chouf TV recueille les témoignages de personnes qui critiquent l’événement et accompagne le tout de détournements des photos du déjeuner. Mais ce média n’est pas le seul. Plusieurs personnes ont remis en question l’intérêt de cet événement ainsi que les critères de choix des personnes invitées. « Certains pensent que nous sommes l’armée de Benkirane qui va attaquer ceux qui postent du contenu négatif et va améliorer sa réputation », déplore Riad Essbai, notant que certains « disent que nous avons reçu des ordinateurs, des téléphones ainsi qu’une centaine de vidéos pour améliorer l’image du PJD sur le web ».

D’ailleurs, certaines personnes invitées ont senti le risque d’être cataloguées comme étant des partisans du parti islamiste et ont préféré ne pas accepter l’invitation. « J’ai décidé de ne pas y aller au moment où le lieu du déjeuner a été déplacé au siège du PJD, plutôt qu’au domicile d’Abdelilah Benkirane », nous déclare Badr Bouanani, qui était invité à cette rencontre. « Je ne voulais pas être catalogué comme un PJDiste », s’est-il justifié.

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