Kamel Daoud, Goncourt du premier roman, chroniqueur étincelant de l'Algérie

L'écrivain algérien Kamel Daoud, qui a reçu mardi 5 mai un important prix littéraire français, est l'un des chroniqueurs politiques les plus lus d'Algérie récemment venu à la littérature.

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Kamel Daoud - Crédit : AFP PHOTO / THOMAS SAMSON

M. Daoud est « un stakhanoviste de l’écriture« , dit son éditeur Sofiane Hadjadj. « Il a compté que j’écrivais jusqu’à 300.000 signes par mois!« , s’amuse Kamel Daoud.

Dans son roman, publié en 2013 en Algérie aux éditions Barzakh, et en 2014 chez Actes Sud en France, Kamel Daoud donne la parole au frère de « l’Arabe » tué par Meursault dans « L’Etranger » d’Albert Camus. Ce roman du prix Nobel français, publié en 1942 alors que l’Algérie était une colonie française, est un long monologue du meurtrier dont la victime reste totalement anonyme.

Méditation sur l’identité algérienne contemporaine, « Meursault contre enquête » a été finaliste en 2014 du Goncourt, le plus prestigieux prix littéraire français. Il a aussi décroché le Prix des cinq continents de la francophonie et le prix François Mauriac. Et mardi, il a obtenu le prix Goncourt du premier roman.

« J’ai rêvé d’une suite à L’Etranger  pour parler de ma condition par le biais d’un personnage. Pas pour régler un compte« , explique l’auteur de 44 ans, crâne rasé et regard brun profond. « Tous s’attendent à ce qu’on parle de Camus ou de Meursault pour en faire le procès ou pour s’en faire l’avocat« .

« Je rêve aussi d’être jugé, par les miens, parce que d’une certaine manière, je me sens beaucoup plus proche de Meursault que de sa victime« , dit-il. Fils d’un gendarme, Kamel Daoud est né à Mostaganem (nord-ouest) en juin 1970 dans une fratrie de six enfants. Il a été élevé par ses grands-parents dans un village dont il est devenu l’imam au moment de son adolescence, frayant avec les islamistes.

Le français, langue de la liberté

Après des études de lettres, il a entamé sa carrière de journaliste au début des années 90 à Détective, un magazine spécialisé dans les faits divers, aujourd’hui disparu. Il tient depuis le début des années 2000 la chronique la plus lue de la presse francophone d’Algérie: des articles au vitriol publiés quasi-quotidiennement dans Le Quotidien d’Oran.

Il écrit aussi depuis quelques années des livres en français, qui reste pour lui la langue de la liberté. « La langue arabe est piégée par le sacré, par les idéologies dominantes » confiait-il au Figaro.

En Algérie, « Meursault, contre-enquête » a été en rupture de stock et a dû être réimprimé. Kamel Daoud est aussi l’auteur de plusieurs récits dont certains ont été réunis dans le recueil « Le Minotaure 504 » (Sabine Wespieser), finaliste du Goncourt de la nouvelle 2011.

Critique acerbe du régime, il dénonce la censure officielle mais aussi les courriers anonymes des islamistes qui l’accusent d’apostasie, passible de la peine de mort selon l’islam.

Un imam salafiste a appelé en décembre sur les réseaux sociaux les autorités algériennes à le condamner à la peine capitale et à l’exécuter. Une initiative interprétée comme une fatwa dans les milieux politiques et intellectuels algériens même si son auteur n’a ni la légitimité ni l’autorité requises.

Kamel Daoud a déposé plainte fin 2014 contre cet imam, mais déplore qu’aucune action n’ait depuis été engagée contre lui. En janvier, après l’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo à Paris, l’auteur se déclarait « effondré » sur France Culture, ces attentats lui rappelant « les années terribles de la guerre civile en Algérie« .

« J’ai peur qu’on perde face à ces gens-là, j’ai peur qu’ils finissent par gagner » disait-il. Pour lutter contre l’islamisme, il estime qu' »il ne faut pas le laisser naître: il faut reprendre l’école, la culture. On ne naît pas islamiste, on le devient« .

Divorcé et père de deux enfants, Kamel Daoud vit à Oran (nord-ouest) et ne quitterait pour rien au monde cette ville, surnommée El-Bahia « la radieuse« .

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