Zakaria Boualem et la guerre des langues

Par Réda Allali

C’est un Zakaria Boualem alerte qui vous reçoit aujourd’hui. L’œil vif, il contrôle l’avancée de la construction du Maroc Moderne et vous en rend compte chaque semaine. C’est la mission qu’il s’est assignée, toute autre tâche lui semble hors de ses maigres capacités. Cette semaine a été marquée par une vive polémique autour d’une interview accordée par notre ministre de la Communication à une radio française. Le porte-parole du gouvernement y a délivré une performance qu’on aura du mal à qualifier de brillante. Nul n’a pu expliquer à Zakaria Boualem pourquoi il avait accepté de s’exprimer en français. C’est un épais mystère. Le Guercifi n’a pas non plus compris pourquoi on avait demandé à ce ministre ce qu’il pensait d’éventuelles négociations avec Al Assad, puisque tout le monde sait que la production de ce genre de réflexions dépasse largement ses prérogatives. Tout cela n’est pas très grave, en fait, on n’est plus vraiment à ça près. Ce qui l’est sans doute plus, c’est de constater que le Maroc est en proie à une sorte de guerre des langues. L’intervention du ministre a permis de laisser gambader à l’air libre une masse puissante de clichés que nos communautés linguistiques entretiennent les unes envers les autres, et qu’elles se balancent à la gueule avec enthousiasme au moindre débat. En voici une petite compilation.

L’arabophone est un être retors. Noyé dans une langue du passé, il est sous-informé, réfléchit mal et navigue à la limite de l’imbécilité. Incapable de raisonner par lui-même, il multiplie les références pompeuses à la oumma arabe, systématiquement victime de complots sionistes. Il entretient une nostalgie inexplicable pour un âge d’or dont il a vaguement entendu parler, et rumine toute la journée l’aigreur infinie que seul un destin tragique peut produire. Il ne propose rien, si ce n’est le rejet de tout ce qui n’a pas l’incontestable validation d’une tradition fantasmée. Pour terminer, il n’aime rien tant que se draper dans la sacralité de la langue qu’il affectionne pour exercer un ascendant psychologique sur son interlocuteur. C’est une véritable manie.

Le francophone est un être retors. Il est riche, dans un pays où c’est rarement bon signe. Complètement coupé du peuple et de ses aspirations, il survit en respiration artificielle dans une sorte de bulle bourgeoise dévoyée où il peut laisser libre cours à sa dépravation morale. Incapable d’apprendre une langue aussi riche que l’arabe, il ourdit des stratagèmes pour promouvoir la darija, seule issue à son ignorance. Francophile, il gobe tout ce que lui balance l’Occident sans la moindre réserve, et accepte la perte de tous ses repères, ce qui est assez aisé puisqu’il n’en a qu’une connaissance imparfaite. Arrogant, il se fout de la gueule des gens qui font des fautes en français, qu’il voit comme des ploucs alors qu’il est profondément incapable lui-même de lister les sœurs de Kana. Et, bien entendu, il est Charlie.(fin de la série de clichés, petite coupure pub, retour plateau et merci). Voilà, en gros, les clans tels qu’ils se perçoivent, c’est assez peu réjouissant. Si notre héros a pris le soin de réaliser ce petit best-of, ce n’est pas uniquement pour le plaisir que peut procurer une écriture délirante, c’est aussi pour exposer la profondeur des ressentiments. Il faut préciser que la plupart des Marocains ne parlent pas le français et plutôt mal l’arabe, ce qui est assez étrange pour un pays qui enseigne les deux. Ils laissent donc aux communautés linguistiques précitées le soin de s’exprimer pour eux, et au passage leur faire dire ce qui les arrange. Voilà, c’est tout pour cette semaine, et c’est un peu inquiétant. Allah y 3aounkom.