Casablanca part à la chasse aux pollueurs

Chaque jour, la police de l’environnement de 
Casablanca sillonne la ville pour traquer les infractions. 
TelQuel a accompagné une patrouille dans 
cette tâche titanesque.

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Crédit : Rachid Tniouni

Neuf heures du matin, boulevard Mohammed V, au centre-ville de Casablanca. Une patrouille de la police de l’environnement vient de débarquer sur les lieux pour constater les dégâts causés par les pluies de la semaine précédente. Lancée en septembre 2013 par le ministère de l’Intérieur avec la coopération du ministère délégué chargé de l’Environnement, cette brigade a été déployée à Casablanca, Mohammedia, Rabat et s’installera bientôt à Laâyoune et Tanger. Dans la capitale économique, ils sont 14 agents dotés d’un seul véhicule de service pour quadriller une ville de 5 millions d’habitants, réputée la plus sale du royaume. Mais ce n’est pas pour décourager le commissaire Hassan Kichetti, qui dirige cette brigade dont les membres portent des gilets estampillés « Police Environnement ». « Notre travail est titanesque mais la protection de l’environnement n’est plus un luxe, surtout dans une ville qui a l’ambition de devenir un pôle financier », nous explique-t-il, tandis que quatre de ses agents observent une énorme mare d’eau remplie de détritus et d’huiles usagées qui bloque l’accès au bureau de poste situé sur le boulevard.

Crédit : Rachid Tniouni
Crédit : Rachid Tniouni

De grosses amendes

L’officier Mimoun Aaid prend des photos et griffonne quelques notes sur un calepin. « Dans ce cas, on dresse un PV accompagné de photos qui atterrit sur le bureau du wali de la ville, qui doit informer le conseil de la ville qui assure le suivi avec la société de gestion des ordures », précise le commissaire Kichetti.

Quelques dizaines de mètres plus loin, devant les restaurants qui longent le marché central, le personnel est en pleine corvée de nettoyage. Quand la brigade les interpelle, les employés affichent leur incompréhension tout en continuant à déverser leurs seaux d’eau et de produit nettoyant sur le trottoir. Mimoun Aaid leur rappelle qu’il est strictement interdit de gêner l’accès à la voie publique à une heure d’affluence. Après avoir pris plusieurs clichés, le policier enregistre les coordonnées du propriétaire de l’un des restaurants et lui confisque sa carte d’identité. « Il est convoqué aujourd’hui au commissariat pour récupérer sa CIN et pour qu’on lui explique la nature des faits qu’on lui reproche. En moins d’une semaine, il sera condamné par le juge de proximité à une amende de 100 à 200 dirhams », détaille le commissaire Kichetti. Les amendes peuvent aller jusqu’à 2 millions de dirhams en cas d’infraction grave à l’environnement. « C’est le cas de la fumée dégagée par les usin es ou de rejets de produits dangereux. Casablanca est entourée de plusieurs usines informelles et le dilemme est de manier le bâton tout en sauvegardant les emplois », affirme le commissaire.

Crédit : Rachid Tniouni
Crédit : Rachid Tniouni

Attention produits dangereux

Le centre-ville de Casablanca recèle un autre type de danger traqué par la police de l’environnement. « La commune urbaine d’Anfa abrite le plus grand nombre d’hôpitaux et de cliniques de la ville. Certains cachent les déchets médicaux dans des bacs prévus pour les déchets ménagers, ce qui met en danger la santé des éboueurs et celle des chiffonniers dans les décharges publiques », souligne l’officier Mimoun Aaid. Pour constater ces cas, la brigade n’hésite pas à vider les bacs d’ordures ménagères à proximité des cliniques qui, le cas échéant, seront verbalisées.

Il est à présent 10 heures, la voiture de la brigade quitte le centre-ville. Direction la gare routière d’Oulad Ziane pour inspecter des ateliers de tôlerie qui déversent sur la voie publique des matières très dangereuses, comme les peintures et les différents mastics en polyester. Dans cet atelier spécialisé dans la réparation de petits taxis, les agents constatent qu’aucun extincteur n’a été remplacé depuis 2012. « L’an dernier, six personnes ont péri dans l’incendie d’une boulangerie à Aïn Sebaâ à cause d’extincteurs périmés. C’est également le cas de l’incendie de Rosamor qui  a fait 55 morts. L’incendie aurait pu être maîtrisé dès le début si les extincteurs avaient été aux normes », rapporte le numéro 2 de la brigade, Farid. Là encore, le propriétaire de l’atelier est convoqué au commissariat.

Quelques mètres plus loin, le chef de la brigade attire notre attention sur une file de camions chargés de bois coupé et stationnés sur le côté de la rue. Après avoir vérifié les papiers du véhicule et l’origine de la cargaison, il explique : « Plusieurs camions transportant du bois issu de l’abattage clandestin des arbres profitent de la nuit pour entrer dans la ville et livrer leurs clients. Quand ils sont repérés lors d’un contrôle de routine, nous intervenons pour établir des PV et les contraventions peuvent aller jusqu’à 30 000 dirhams ».

« Changer les mentalités »

Alors que la patrouille met le cap sur le quartier Sidi Bernoussi, le commissaire Kichetti reçoit un appel de la division santé de la commune El Fida. Il faut rebrousser chemin. Les habitants d’un immeuble ont porté plainte contre le propriétaire qui a décidé d’installer une antenne relais d’une société de télécommunications. « Le propriétaire doit justifier d’un document certifiant que ces antennes n’ont aucune incidence sur la santé des habitants. Mais peut-on prévoir les incidences de ces antennes sur le long terme ? La question fait encore débat même dans les pays  qui ont plus de moyens », s’interroge le commissaire Kichetti.

Malgré l’existence d’un solide arsenal juridique, le champ d’intervention de la police de l’environnement couvre également des domaines inédits. « Nous nous occupons également des marchés clandestins d’oiseaux, comme celui de Lakriâa. Une fois, nous avons saisi un perroquet connu sous le nom de Bouchaïb et nous l’avons placé au zoo de Témara. Son propriétaire a écopé d’une amende de 30 000 dirhams pour trafic d’espèces rares, conformément à l’accord de Washington », raconte Farid. Pour l’heure, la brigade a suspendu ce genre de contrôle en attendant la sortie d’une loi organisant les types d’oiseaux autorisés au commerce.

Si ses prérogatives sont très larges, l’action de la brigade reste limitée par le manque de moyens et l’absence de techniciens habilités à procéder aux prélèvements et aux analyses de produits polluants, de la qualité de l’air, etc. En attendant, elle joue la carte de la pédagogie en informant les contrevenants sur les enjeux de l’environnement. Par ailleurs, la police a organisé, en 2014, pas moins de 316 opérations de sensibilisation dans des écoles et des associations de quartier. « Malgré nos moyens limités, nous pensons qu’il faut gagner la bataille de l’éducation des enfants à l’environnement et réussir à changer les mentalités », assène Mimoun Aaid.

Il est à présent 13 heures, la brigade reprend la direction de la wilaya au boulevard Zerktouni. Après une matinée à vadrouiller dans les rues de la ville, les policiers vont se pencher sur les tâches administratives, cédant le terrain au second groupe de la brigade qui va patrouiller pendant l’après-midi. Traquer les infractions à l’environnement dans la jungle casablancaise est un travail sans fin.

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