Tamegroute, splendeurs du désert, trésor en livres

Niché dans la vallée du Drâa, le village de Tamegroute abrite l’une des plus vieilles bibliothèques du royaume, vestige d’un Maroc tourné vers l’Afrique et dirigé par les puissantes dynasties du sud.

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Alors qu’un voile immaculé de neige couvre les cimes de l’Atlas, la vallée du Drâa baigne dans un soleil hivernal. Sur 200 kilomètres, d’Ouarzazate à Mhamid El Ghizlane, l’oued Drâa serpente à travers une multitude de paysages : désert de cailloux, montagnes façonnées par l’érosion et chapelet de kasbahs entourées de splendides palmeraies. Tamegroute, chef-lieu de la région, se situe à 18 kilomètres de la ville de Zagora.

Ce village de 5 000 habitants a perdu de sa superbe, mais sa bibliothèque mythique et son architecture unique témoignent encore de la grande époque des routes des caravanes qui reliaient le Maroc au Mali et au Niger. Fondée au XVIIe siècle par Sidi Mohamed Ben Nacer, la zaouïa nassiriya continue à rythmer la vie de la région et compte des milliers de disciples à travers tout le royaume, qui font le déplacement chaque année à l’occasion de la fête de l’Achoura pour la prière et la méditation.

La porte du désert

Le sanctuaire est composé d’une mosquée dotée d’une large cour intérieure construite dans un style andalou très dépouillé, de construction récente. Hakim, 35 ans, natif du village, se rappelle du jour où la zaouïa a failli être rayée de la carte. « En 1986, des milliers de personnes étaient réunies dans la zaouïa pour célébrer la fête de l’Achoura quand subitement les crues du fleuve ont balayé le village, épargnant la bibliothèque et le mausolée où est enterré le grand cheikh. C’est un signe divin », nous raconte-t-il. Suite à cet événement, le ministre des Habous et des Affaires islamiques a repris les lieux dans son giron et a construit une nouvelle mosquée dotée de nouveaux locaux pour sauver les 4 000 ouvrages que compte la bibliothèque de la zaouïa.

En attendant la prière de l’Asr, la cour intérieure de la mosquée est déserte. Retranchées sous les abris, quelques personnes aux regards vides somnolent sur des couvertures placées à même le sol. Ici, on les appelle les Bouhalis. « Ce sont des personnes souffrant de maladies mentales qui arrivent des différentes régions du Maroc. On compte, parmi elles, d’anciens cadres dont la vie a basculé. Certains séjournent des mois et parfois des années auprès du saint homme et passent le plus clair du temps à prier avec l’espoir de guérir un jour », nous explique Hakim. Ces malades sont entièrement pris en charge par les serviteurs de la zaouïa qui les nourrissent et les soignent grâce aux dons royaux, du ministère des Habous, des notables de la région, sans oublier les dons des visiteurs occasionnels.

Trésors sur papier

Située au fond de la mosquée, la bibliothèque est gardée jalousement par Lhaj Mohamed. Avec son accent du sud , il nous fait la visite des lieux. Pas moins de 4000 manuscrits, dont certains datent de six siècles, sont soigneusement rangés dans une grande salle où les caméras et les flashs des appareils photo sont prohibés. Lhaj Mohamed, 80 ans, a une santé fragile qui l’a cloué à un fauteuil roulant, mais sa mémoire est phénoménale. « J’ai hérité ce métier de mes aïeux que le grand cheikh a ramenés de Fès pour s’occuper de cette bibliothèque », précise-t-il avant de se lancer dans la description de ces trésors sur papier.

On y trouve de tout. Des livres théologiques sur l’exégèse, des manuscrits sur la grammaire arabe, des livres sur la traduction arabe-turc… Concernant le Maroc, la bibliothèque dispose de livres très rares sur l’architecture de la ville de Fès ou, plus rares encore, des manuscrits de poésie en vers qui mêlent l’arabe et l’amazigh et qui narrent l’histoire de la région. Selon un rituel bien rôdé, Lhaj Mohamed nous guide entre les rayons de la bibliothèque, véritable temple du savoir qui embrasse une multitude de disciplines comme la théologie, la médecine, l’astrologie, la zoologie ou encore les mathématiques. Un joyau constitué par Sidi Mohamed Ben Nacer, érudit et redoutable commerçant, qui profitait de ses nombreux voyages au Moyen-Orient, en Afrique de l’Est et à La Mecque pour ramener plusieurs manuscrits, faisant ainsi de Tamegroute un centre du savoir.

« Quelque 2000 manuscrits d’une grande valeur ont été transférés à la bibliothèque royale pour éviter leur déperdition. Les chercheurs universitaires du monde entier viennent ici pour travailler sur ces manuscrits », souligne Lhaj Mohamed. A proximité, il existe une seconde bibliothèque dont les livres sont réservés aux étudiants en théologie de la zaouïa. « A son apogée, plus de 1000 étudiants vivaient ici et recevaient une formation en théologie et en sciences. Tamegroute était le fer de lance de l’islamisation de l’Afrique subsaharienne. Aujourd’hui, l’école est sous la tutelle du ministère des Affaires islamiques et les étudiants y sont entièrement pris en charge », affirme Lhaj Mohamed.

Ombres et lumières

La zaouïa nassiriya est un modèle particulier d’organisation sociale. Pour en faire un centre politique dominant le sud et protégeant les routes caravanières qui reliaient le Maroc à Tombouctou, le grand cheikh avait noué une alliance avec les Al Ansars, des Arabes originaires de Médine qui s’étaient installés dans la région du Drâa suite aux conquêtes musulmanes. Pour assurer la sécurité de la ville, le fonctionnement de la zaouïa et le travail des terres, le cheikh avait ramené plusieurs centaines de Maliens qui vivaient à proximité de la zaouïa.

Fort du savoir architectural adapté au climat aride, ces serviteurs du cheikh ont bâti, au fil des années, l’une des kasbahs les plus atypiques de la région. Elle est constituée de rangées de maisons en pisé de deux étages, dont les toits sont reliés afin d’empêcher le soleil de pénétrer dans les rues et de garder la fraîcheur des lieux. A l’exception de quelques puits de lumière qui descendent des terrasses, la kasbah est plongée dans une pénombre permanente, ce qui lui vaut le nom de
« kasbah souterraine ».

Avec l’effondrement des échanges caravaniers entre le Mali et le Niger, la zaouïa a recentré son activité sur la formation religieuse et le commerce des dattes pour disposer de ressources financières. Aujourd’hui encore, ce sont les Harratines (descendants d’esclaves affranchis) qui travaillent les terres en contrepartie du cinquième de ce qu’ils produisent, ce qui leur vaut le nom de « Khemasse ».

A Tamagroute, le temps semble s’être figé. A l’image de ces précieux manuscrits qui peuplent les rayonnages de la bibliothèque depuis des siècles et qui mériteraient d’être aujourd’hui digitalisés pour devenir accessibles au grand public. Ce n’est, hélas, pas prévu au programme.

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