SwissLeaks: les actionnaires du Monde critiquent la «délation»

Après avoir révélé au grand jour le scandale de fraude fiscale touchant la banque HSBC, les journalistes du Monde ont essuyé des critiques des actionnaires de leur propre journal.

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Crédit : AFP

Deux des principaux propriétaires du quotidien français Le Monde ont critiqué la décision de publier dans le journal des noms de personnalités concernées par le scandale de fraude fiscale touchant la banque HSBC suisse, allant même jusqu’à parler de « délation« . Mais ces déclarations semblent laisser de marbre la rédaction du journal, qui a réaffirmé son indépendance éditoriale.

« Ce n’est pas pour ça que je leur ai permis d’acquérir leur indépendance. Ce sont des méthodes que je réprouve« , a déclaré mardi le président du Conseil de surveillance du Monde, Pierre Bergé. Matthieu Pigasse, co-actionnaire du Monde et vice-président de la banque Lazard, a demandé aussi à ne pas tomber dans la « délation« , tout en se disant « fier » du travail d’investigation « remarquable » des journalistes.

Il existe au Monde une charte d’éthique, selon laquelle « les actionnaires n’ont pas leur mot à dire sur les contenus éditoriaux« , a rétorqué le directeur du Monde, Gilles Van Kote. La rédaction du grand quotidien français a accueilli avec flegme les propos de Pierre Bergé. « On finit par être habitué aux foucades de Pierre Bergé« , a commenté le président de la Société de rédacteurs Alain Beuve-Méry. « Ce sont des propos tenus à l’emporte-pièce, qui comme souvent dépassent sa pensée. Je ne veux pas aller plus loin dans la polémique« , a-t-il ajouté, précisant qu’il n’y aurait pas de communiqué de la Société de rédacteurs.

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« Juste équilibre »

Depuis lundi, HSBC Suisse est dans le collimateur de plusieurs journaux, qui ont mené une enquête commune sur des malversations présumées de la banque ayant permis à nombre de ses clients, dont de riches industriels et des personnalités politiques et du show-business, à cacher des milliards de dollars pour leur éviter de payer des impôts. Le Monde a eu accès en janvier 2014 à des centaines de milliers de données internes à la banque, contenant des informations sur plus de 106.000 clients originaires d’environ 200 pays de la filiale suisse de la banque britannique. Le journal a partagé ses informations avec un réseau mondial de 150 journalistes.

L’enquête qui s’est accompagnée de la diffusion de plusieurs noms – vedettes du spectacle, chefs d’entreprise ou leurs héritiers – a été baptisée SwissLeaks. Les noms n’étaient connus jusqu’à présent que par la justice et quelques administrations fiscales, même si certains éléments avaient déjà filtré dans les médias.

« Cette histoire me met mal à l’aise« , a expliqué Pierre Bergé sur la radio RTL. « Il faut proscrire évidemment la fraude fiscale et punir les fraudeurs. Est-ce le rôle d’un journal de jeter en pâture le nom des gens ? C’est du populisme. C’est fait pour flatter les pires instincts« . « Je ne veux pas comparer ce qui se passe à des époques passées mais quand même, la délation, c’est la délation« , a insisté l’homme d’affaires, également mécène et collectionneur, qui a cofondé et dirigé pendant 40 ans la maison de couture Yves Saint-Laurent.

Matthieu Pigasse, grande figure de la banque française, très écouté des patrons, s’est montré plus mesuré. « Il est vrai qu’il y a un juste équilibre à trouver entre le fait de divulguer des informations d’intérêt général, d’intérêt public » et le fait « de ne pas tomber dans une forme de maccarthisme fiscal et de délation« , a-t-il dit. Le troisième co-actionnaire du journal, Xavier Niel, fondateur de l’opérateur télécoms français Free, n’a pas réagi.

Mohammed VI, Gad El Maleh, Abdallah de Jordanie…

« On peut toujours avoir des discussions« , a relevé Gilles Van Kote, interrogé par l’AFP. « Le débat sur le fait de donner le nom d’untel et pas d’untel est ouvert, il existe au sein de la rédaction. Mais ce sont des décisions qui sont du ressort de la direction du journal« , a-t-il insisté.

Parmi les noms des clients cités en début de semaine par Le Monde figure celui de Mohammed VI. Selon le quotidien, le roi co-détenait, avec son secrétaire particulier Mounir Majidi,  un compte doté de 7,9 millions d’euros dans cette même banque. Les avocats de ce dernier et de la famille royale ont cependant indiqué au Monde que «toute ouverture de compte bancaire à l’étranger s’est faite dans le strict respect de la réglementation en vigueur au Maroc ». Un autre article mettait en avant l’ex-mari de la fille aînée d’Hassan II, Fouad Filali.

Parmi les autres noms mentionnés dans l’enquête figurent ceux de Gad El Maleh  et Abdallah II de Jordanie.

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