Jamal Boudouma : «Nous sommes un dommage collatéral de la crise franco-marocaine»

Pour Jamal Boudouma, l'animateur de l'émission Hadith al Awassime sur France 24, le blocage de son équipe vendredi 23 janvier dans un hôtel par un pacha de Rabat est dû à la tension entre le Maroc et la France. Interview.

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Jamal Boudouma, journaliste à France 24. Crédit : DR

Vendredi 23 janvier, une équipe de France 24 est enfermée à la Villa Diafa sur la route de Zaers à Rabat par un pacha, accompagné de membres de forces de l’ordre, qui a réclamé une copie des enregistrements de l’émission Hadith al Awassime (On en parle dans les capitales) animée par le journaliste Jamal Boudouma. Si la préfecture de Rabat a justifié l’incident par « l’absence d’autorisation » de tourner, le journaliste nous livre sa version des faits dans une interview.

Les autorités sont intervenues vendredi 23 février lors du tournage du dernier épisode de votre émission. Comment la situation a-t-elle été résolue ?

Cela fait un an et demi que nous tournons cette émission sans qu’il n’y ait de problème. D’habitude, les autorités demandaient le thème de l’émission et le nom des invités. C’est tout. Nous avons fourni ces informations comme d’habitude, mais cette fois, le pacha de la région de Zaer est venu sur les lieux et a demandé à l’équipe d’arrêter le tournage, sinon il allait couper l’électricité. Il était parti voir la régie donc je n’ai pas pu voir tout cela, vu que j’étais sur le plateau. Après la fin du tournage, il a réclamé l’enregistrement sinon il interdirait à tout le monde de sortir. Après deux heures de négociations, nous avons fini par leur délivrer l’enregistré et ils nous ont laissé partir, ils nous ont promis de nous rendre l’enregistrement après visionnage de l’émission, chose qu’ils ont faite deux heures avant l’heure de sa diffusion dimanche 25 janvier.

Le communiqué de la préfecture déplorait une absence d’autorisation…

J’étais surpris par le communiqué de la préfecture. Dans ce dernier, il était question d’un tournage dans une villa. Or, nous étions en train de tourner à Villa Diafa qui est un hôtel, et donc un lieu public. C’est dans ce même cadre que l’on a toujours tourné nos émissions à Rabat, où nous avons reçu des ministres et beaucoup d’institutionnels. Cette question d’autorisation était un prétexte pour nous envoyer un message. Étant donné que l’on a un bureau au Maroc, nous disposons des autorisations de tournage. Le pacha parlait d’autorisation du Centre cinématographique marocain, puis évoquait une autorisation de la préfecture, ce qui signifiait clairement que c’était juste un alibi.

Pensez-vous que ce contrôle est lié au sujet évoqué dans l’émission, à savoir l’humour satirique ?

Nous avons pensé à cela au début, vu qu’il y avait l’actualité de l’attentat contre Charlie Hebdo. Aussi parce que l’humoriste Ahmed Snoussi était invité à l’émission alors qu’il ne passe pas à la télévision au Maroc, mais l’actualité était juste un prétexte pour parler d’humour au Maroc. Aussi, nous avons déjà invité des personnes d’Al Adl Wal Ihsane sans qu’il n’y ait de problème. A la fin, je crois que c’est en réaction à l’invitation de Zakaria Moumni dans l’émission Face à face sur France 24 le 20 janvier, le lendemain de l’annonce de la visite de Salaheddine Mezouar à Paris.

La crise maroco-française pourrait donc constituer une raison à cet incident à votre avis ?

Nous sommes clairement un dommage collatéral des tensions entre Rabat et Paris. Les autorités considèrent, à tort d’ailleurs, que France 24 est le porte-parole du gouvernement français, alors qu’ils savent très bien qu’en France les médias sont libres et qu’une chaîne publique n’est pas une chaîne officielle. Le gouvernement n’a pas le droit d’intervenir dans la ligne éditoriale des médias français. Concernant l’actualité marocaine, nous donnons la parole à tout le monde. Ce qui a dérangé, c’est que l’on donne la parole à des gens comme Mustapha Adib et Zakaria Moumni. Alors que nous essayons d’inviter toutes les parties concernées lorsqu’on traite d’un sujet. Les opposants sont toujours prêts à intervenir quand on les invite, alors que les officiels, soit ils ne répondent pas, soit ils se désistent à la dernière minute.

Malgré cet incident, comptez-vous revenir au Maroc tourner d’autres émissions ?

Nous considérons que c’est un malentendu, nous sommes une chaîne internationale qui respecte la loi et n’a pas de parti pris envers le Maroc. Nous demanderons toutes les autorisations nécessaires et reviendrons pour d’autres émissions.

Depuis le début de l’année, un film a été censuré, plusieurs supports de presse français ont été interdits. Où en est la liberté d’expression au Maroc ?

J’ai vécu l’ouverture du début des années 2000, c’est là où j’ai exercé la presse au Maroc. C’était l’époque du Journal hebdomadaire, le début de TelQuel… J’étais directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Nichane à l’époque. La régression a commencé à partir de 2007 et on continue malheureusement dans ce sens. Tant que le travail de chaines étrangères comme France 24 ou Al Jazeera pose problème, nous serons loin du progrès. Il y a un climat qui n’est pas en la faveur de la liberté d’expression, c’est clair. Mais nous restons beaucoup plus avancés que d’autres pays dans le voisinage, sauf qu’avec des maladresses et des erreurs de communication, nous reflétons une image très sombre de la réalité, avec ça, on nuit à l’image de la liberté d’expression et à l’image du Maroc tout court.

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