A contre-courant. Islam : la boîte à spams

Par Omar Saghi

Tu es européen ou américain, en souffrance psychique et sociale ? Convertis-toi à l’islam (cela prend deux minutes) et va agresser des anonymes, ça te donnera une raison de vivre. Ou bien encore lis Eric Zemmour ou Mark Steyn, apprends le peu d’importance du nazisme, la positivité de la colonisation et libère ta haine, en la canalisant sur les musulmans.

Ces deux approches ne sont opposées qu’en apparence. L’islam comme religion, patrimoine culturel et diversité des peuples, est en train de cristalliser le mal-être de la modernité comme jamais une entité avant lui (le fascisme ou la menace bolchévique, par exemple) ne l’a fait avec autant d’extension (tous sont touchés, du politique et de l’intellectuel médiatique au chômeur, au cadre stressé et à la ménagère de moins de cinquante ans qui s’ennuie devant sa télé). Cette canalisation a sa version démonique (les musulmans nous envahissent, l’islam est un fascisme…) et sa version angélique (l’islam, dernière chance face à l’Empire, les musulmans, avant-garde de l’humanité souffrante… et autres fadaises de gauchistes mondains). Il arrive d’ailleurs qu’entre les deux versions, le cœur balance : André Glucksmann a ses gentils Tchétchènes et ses mauvais jihadistes, Bernard Henri-Lévy ses Bosniaques côté face, ses Pakistanais côté pile…

L’islam chez les musulmans, en diaspora ou dans leurs pays d’origine, est également en train de subir cette déformation. Tu es musulman et marginalisé, ou exploité, ou juste psychiquement dérangé ? Laisse-toi pousser trois poils au menton et va agresser des femmes dévoilées dans la rue, ça te donnera une contenance. Tu n’es pas d’accord avec l’évolution du monde contemporain ? Mets un kamis pakistanais sur ton pyjama, tu participeras ainsi au débat d’idées.

L’islam est le miroir parfait de la modernité occidentale. La Chine est trop lointaine, trop différente, l’Inde multiple, insaisissable, l’Amérique Latine et le monde slave à peine dissemblables, trop proches. Seul l’islam remplit les conditions subtiles du narcissisme meurtrier de la petite différence : il paraît symétrique, point par point, à l’Occident. Il le rassure, alors que les identités prennent l’eau de toute part, sur sa compacité, son exception. Masculin, violent, fermé, alors que l’Occident est féminin, pacifique, ouvert. Ou encore, version inverse, passif, résigné, borné, alors que l’Occident est actif, audacieux, innovant… Les doublons islam-Occident sont légion.

Et les intellectuels occidentaux s’en servent comme point d’appui : l’Europe a un problème avec son passé nazi ? On coupe les cheveux en quatre pour prouver que les musulmans étaient pronazis. L’Occident en pleine mutation de ses repères sexuels fait une obsession sur la pédophilie ? Les musulmans deviennent des lascifs, voyez l’âge moyen du mariage, voyez les harems, voyez la polygamie. L’Occident et son passé esclavagiste ? On écrit sur l’islam et l’Afrique, les Arabes et les noirs. En l’espèce, les chiffres (la quasi-absence statistique de la polygamie dans le monde arabe, la chute de la natalité), les faits (l’indifférence, quand ce n’est pas l’aversion pure, de la majorité des arabo-musulmans au nazisme lors de la Seconde guerre mondiale) sont de peu de poids.

L’islam est en train de se transformer, avec la contribution active de beaucoup de musulmans fonçant sur tous les torchons rouges qu’on agite, en boîte à spams de la modernité. Tout ce qui dérange, ce qui n’a plus de place dans la redistribution actuelle des cartes, est remisé dans la catégorie « islam ».