Ta vie en l'air. Apparences trompeuses

Par Fatym Layachi

Parfois, quand tu ressens vraiment le besoin d’être connectée au monde qui t’entoure, tu feuillettes des magazines qui parlent d’autre chose que de fringues, de détox ou de potins. Et en ce moment, tu sens que le monde est en marche, que ton pays avance, alors tu te documentes dans les magazines. Et, aujourd’hui, tu découvres des dizaines de photos qui relatent tout plein d’évènements qui ont eu lieu ces derniers temps aux quatre coins du pays. C’est qu’il y en a eu beaucoup ! Des forums internationaux, des conférences mondiales, des colloques intercontinentaux, des rencontres diverses et extrêmement variées. Et ça a l’air à chaque fois vachement bien. C’est beau. C’est moderne. Les gens ont l’air dynamique. Ça t’impressionne presque. Mais tu te demandes un peu à quoi ça sert tout ça.

Organiser un super-évènement exceptionnel c’est bien, mais gérer le quotidien sans oublier l’avenir ça serait peut-être vachement plus utile. Et à bien y regarder, autour de toi, pas mal de trucs fonctionnent de cette manière. La grande majorité de tes copines et toi aussi d’ailleurs dépensez tout votre fric en fringues, sorties ou autres trucs futiles qui donnent à la vie l’illusion du bonheur mais sans jamais mettre un sou de côté. La retraite, les coups durs, ça paraît tellement loin et pas assez concret. Prévoir n’est pas un verbe très en vogue dans ce pays. Seul l’instant compte. Il n’y a qu’à voir le nombre de types qui vendent leur frigo pour s’acheter un mouton. A aucun moment ils ne se demandent où ils vont le stocker, ce mouton, une fois sacrifié. Non, esprit et argent n’ont été mobilisés que pour cet instant de fête. Et au lendemain de la fête, plus de frigo. Et pourtant, un frigo, c’est quand même plus utile qu’un mouton, du moins à long terme. Mais, visiblement, le long terme ça n’intéresse pas grand monde. Ta tante, par exemple, s’est fait construire une baraque immense qui lui a coûté un bras. Mais dans la vie de tous les jours, son mari, ses gosses et elle s’entassent dans un « bit lmakla » de 6 m2. Les autres salons c’est pour recevoir. Donc ta tante a construit une baraque comme une salle des fêtes. Et à peu près trois fois par an elle organise un grand repas de famille, et là, elle vous fait l’honneur de vous recevoir dans la salle à manger. En été, ça passe, mais en hiver, on gèle. Car, bien évidemment, elle a dépensé des sommes indécentes pour en mettre plein la vue avec la déco de sa maison entre marbre italien, tissus français et faïences hollandaises. Mais, à aucun moment, elle ne s’est dit que le chauffage central serait peut-être un très bon investissement, qui certes n’épaterait pas la galerie, mais rendrait le quotidien agréable. Du coup, au milieu de son enfilade de salons, elle a déposé un vague chauffage à gaz qu’elle allume le temps du déjeuner, mais la pièce est tellement grande que tu restes frigorifiée. Et en plus ça pue l’humidité. Mais ça, tout le monde s’en fout. L’essentiel c’est d’avoir un immense salon pour d’éventuelles fêtes. Et toi, en lisant ces magazines, tu te demandes si, au niveau de l’Etat, ça ne fonctionne pas un peu comme ça aussi.

Tu te rends compte qu’on est devenus experts pour héberger des évènements, du plus sérieux au plus improbable, avec pas mal de professionnalisme et de modernité, apparemment. Au final, pour toi, tous ces méga-évènements, c’est un peu comme ces énormes mariages, ces cérémonies fastueuses hors de prix. Ça t’en met forcément plein la vue, mais te laisse un drôle de goût. Une sensation assez proche de ce que tu peux ressentir face à certaines boutiques devant lesquelles tu passes parfois. Tu salives à la vue des vitrines. Tu rentres. Tu demandes à essayer des robes. Aucune ne te va. Elles sont mal coupées ou en tissu très cheap. Tu ressors un peu déçue, rejettes un coup d’œil à la vitrine. Et tu te rends compte que tu t’es fait avoir par une jolie mise en scène, un bel éclairage.