Ta vie en l'air. Carrefours

Par Fatym Layachi

Tu le croises. Il te sourit un peu gêné. Lui, c’est ton ex. Pas forcément celui qui t’a le plus marquée. Mais suffisamment pour te mettre légèrement mal à l’aise dans les allées d’un centre commercial où tu pensais trouver de tout à part un soupçon d’émotion. Vous vous saluez avec cette froideur que s’imposent les gens qui n’assument pas d’avoir partagé une intimité. Il te demande comment tu vas. Tu réponds forcément que tout est merveilleux. Tes cheveux brillent, tu t’arranges pour faire croire que le reste aussi. Tu ne crois pas un mot de ce que tu débites, mais tu souris. Il est ravi de te montrer sur l’écran de son smartphone qu’il a réussi sa vie. Les photos sans âme défilent. Il a une femme, une maison, un chien, une voiture, des vacances à la plage et des amis qui savent avoir l’air heureux face à un objectif.

Fatalement, lui est marié. Plus que son alliance, c’est son bide qu’il exhibe fièrement. Monsieur a une maison que madame son épouse doit bien tenir. A défaut d’être un homme comblé, c’est un homme repu. Tu es sorti avec lui il y a dix ans. Putain dix ans ! C’est que le temps passe vite. Tu as fait quoi toi, en dix ans ? Rien ? Non, pas jusque-là. Mais pas grand-chose en tout cas. Et niveau sentimental, tu as accumulé les mecs. Des débuts d’histoires mais jamais rien de construit. Des aventures prometteuses qui n’ont jamais tenu leurs promesses. Non, tu ne t’es pas mariée. Pas que tu sois fondamentalement contre, mais tu t’es fait draguer par trop d’hommes mariés pour croire au mariage. Faire tourner des têtes, ça tu sais faire. Des sexagénaires ont essayé de t’émouvoir en portant des Converse pour avoir l’air cool, des banquiers se sont découvert une fibre de poètes et des crétins ont cru voir en toi le mirage d’une vie de désir ardent. De ces histoires, tu as été l’héroïne sans gloire. Trop polie pour dire non et pas assez audacieuse pour dire oui, tu as traîné ton petit cœur entre des bras sans passion. Rêvant de brûler, ne recueillant que des cendres même pas incandescentes. Avec cet ex, en face de toi, c’était sympa mais sans plus. A voir ses yeux pétiller, tu te dis que les souvenirs qu’il garde de votre histoire doivent être drôlement romancés. Après avoir échangé ce qui ressemble à des banalités de femmes au marché, chacun reprend le chemin de son quotidien. Il rentre chez lui et passera la soirée à fixer un écran de télé qu’il ne regarde pas. Le peu d’esprit que son ambition lui a laissé se perd en rêveries. Il s’imaginera peut-être avec toi sur une plage somptueuse, dans un hôtel féerique. Il fantasmera la vie qu’il aurait pu avoir sans la moindre once de réalisme.

Et exactement comme tu l’avais prédit, il t’envoie un texto ! Il confesse son trouble. Il aurait aimé… Si seulement… Son message est un peu minable en fait. Même ses compliments sont étriqués. Tu souris. Ton ego est ravi. Mais ça ne t’émeut pas. Les réminiscences du passé idéalisé, ça ne t’a jamais fascinée. Tu es un peu comme un ordinateur, avec une mémoire mais sans souvenirs émus. Pour toucher ton cœur, il en faudrait bien plus, mais tu t’es résignée. A défaut de vibrer ou d’aimer aussi fort que dans les chansons qui font pleurer tes yeux de fillette, tu te contentes de plaire. A bien y regarder, ton ex et toi avez ça en commun : l’attente d’un lendemain hypothétique. Vous faites illusion. La vie te sourit même quand tu bâilles. Il est vigoureux et tout lui réussit. Tu t’endors dans ton lit trop grand, et lui s’endort auprès d’une femme dont il ne rêve pas mais à qui, à défaut d’offrir de l’amour, il a offert un statut et un train de vie. Et finalement, quand le bonheur paraît impalpable, c’est sans doute le plus sûr des refuges.