Le fabuleux destin d’une bota

En attendant le résultat des explorations gazières, les Marocains consomment du gaz importé. Par quel moyen arrive-t-il dans nos foyers ? Qui produit ces fameuses bonbonnes rouges et bleues ?

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Photo : DR

La menace de grève brandie par les distributeurs de gaz, quelques semaines avant le mois de ramadan, a mis en lumière un secteur stratégique, dont l’organisation échappe au plus grand nombre. Pourtant, au Maroc, 600 000 bouteilles de gaz butane sont distribuées chaque jour, soit une consommation totale de 2 millions de tonnes par an. Le gaz étant considéré comme un produit de première nécessité, sa production et sa distribution ont toujours été fortement réglementées. Idem pour les prix, fixés par la Caisse de compensation dans le but de protéger le pouvoir d’achat des citoyens. En 2013, cette dernière a déboursé 13 milliards de dirhams pour subventionner le gaz. Dans le commerce, une bouteille de 3 kg coûte 10 DH, alors que son prix de revient réel est de 31,25 DH. Pour une bouteille de 12 kg, subventionnée à hauteur de 80 DH, le consommateur débourse 40 DH, prix inchangé depuis 1990.

En termes de consommation, « le pic est atteint lors des mois d’hiver ainsi qu’au cours du mois sacré », explique Mohamed Benjelloun, président de l’Association des distributeurs de gaz. En milieu urbain, le gaz est principalement destiné à un usage domestique (cuisine, chauffage…) qui représente 60% de la consommation totale. Dans les zones rurales (30% de la consommation), il sert dans les petites exploitations agricoles à faire tourner les divers moteurs, produire de l’électricité, etc. Au cours de la dernière décennie, le secteur a connu une progression des ventes de 5,2%. « Cette embellie, on la doit à la forte croissance de la population marocaine et au changement des habitudes de consommation, ainsi qu’à la faible liaison au réseau d’électricité dans le milieu rural », explique un opérateur du marché.

Réglementation rigoureuse

Au-delà de son coût, l’État veille à la disponibilité, mais aussi à l’acheminement du produit. Avant de finir en bonbonne, le gaz parcourt un long périple. La matière première est importée puis stockée dans les dépôts des entreprises importatrices et distributrices. 90% de cette source d’énergie est importée par le Maroc en état GPL (gaz de pétrole liquéfié). Là aussi, l’Etat intervient en imposant aux sociétés concernées de constituer un stock de sécurité. L’emplissage peut alors commencer. « Les bouteilles sont remplies de produits butane et propane, dans des centres spécialisés, pour le compte de sociétés distributrices qui leur sont généralement affiliées », indique notre source. Le Maroc compte pas moins de 36 centres emplisseurs, répartis sur l’ensemble du territoire et détenus par une vingtaine de sociétés. Les principaux acteurs ne sont autres qu’Afriquia Gaz, leader en la matière, Vivo Energy, Total et Ziz. Ces quatre entreprises cumulent à elles seules 70% des parts de marché.

Tous les opérateurs du secteur se conforment à un conditionnement bien particulier. Le butane est mis en bouteille sous trois formats : 3 kg, 6 kg et 12 kg. « L’acheminement des bouteilles vers les quartiers d’habitation est opéré par les grandes sociétés de distribution qui alimentent les dépositaires grossistes », explique Mohamed Benjelloun. Une fois que ceux-ci reçoivent leurs chargements, différents moyens sont utilisés pour les acheminer vers le consommateur final. « Il y a ceux qui ont de gros camions facilitant la logistique et permettant une couverture géographique plus large, et ceux qui n’ont qu’un petit dépôt pour fournir les épiciers du coin », précise Benjelloun. A noter qu’on peut aussi s’approvisionner en butane auprès des stations-service, qui sont elles aussi desservies par les dépositaires. « C’est une solution qui existe mais qui est très peu exploitée par les Marocains. Par conséquent, nos stations ont un stock assez réduit », déclare un opérateur du marché.

La grève, une menace permanente

Les distributeurs de gaz ont reporté leur grève initialement prévue pour le mois de ramadan, suite à des instructions émises par le ministre de l’Intérieur. « Le ministre a attiré notre attention sur la forte consommation de butane durant ce mois, et à quel point cela pourrait pénaliser les citoyens marocains », explique un distributeur. Une première grève avait eu lieu les 4 et 5 juin dernier et avait mobilisé, selon les organisateurs, plus de 95% des affiliés à travers tout le Maroc. Les professionnels du secteur, plus précisément les dépositaires, revendiquent une revalorisation de leur marge bénéficiaire, qui n’a pas été revue depuis 1998 et qui est fixée à 16% du prix de vente des bouteilles. « On demande cette révision parce que le transport pèse jusqu’à 50% dans nos charges et, depuis 1998, les prix des carburants, de l’assurance et de tous les agrégats de la logistique ont connu une hausse vertigineuse », déclare Mohamed Benjelloun, président de l’Association des distributeurs de gaz. « Notre première tentative a été une réussite, malheureusement rien n’a été fait de la part du gouvernement », poursuit-il. L’association, qui regroupe quelque 400 distributeurs à travers tout le royaume, n’a pas apprécié le manque de communication de l’Etat et estime que son manque d’implication ne peut qu’aggraver la situation. C’est pourquoi elle s’est organisée pour récidiver. « Nous avons pris beaucoup de précautions pour que les consommateurs ne soient pas trop affectés par l’arrêt du mois de juin, mais la prochaine fois, ça sera différent », menace Mohamed Benjelloun. En effet, selon lui, les distributeurs avaient choisi les deux jours qui représentent le plus faible taux de consommation de gaz. Ils avaient aussi laissé tous les dépôts ouverts pour que le consommateur puisse s’approvisionner. Cependant, le groupement des dépositaires n’a pas que cette requête. Leur métier, qui est régi par un dahir datant de 1973, vit par moment dans l’anarchie causée par la lourdeur des procédures d’obtention des autorisations.  Par conséquent, il y a toujours des opérateurs qui exercent dans la clandestinité totale. « Depuis quelques années, on demande au ministère de nous faciliter le processus, afin d’exclure ces pratiques illégales, chose qu’ils n’ont jamais fait réellement », déplore Mohammed Benjelloun.[/encadre]

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