River-Boca : la passion a son Clàsico

Il aura fallu le beau parcours du Raja en Coupe du monde des clubs, et sa victoire sur les Brésiliens de l’Atletico Mineiro, pour que le public marocain prenne conscience de l’intensité de la rivalité entre clubs sud-américains. Retour sur un des derbys les plus connus au monde, celui entre Boca Juniors et River Plate, les équipes les plus populaires d’Argentine.

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L’Amérique du Sud est riche en villes de football rythmées par les rivalités entre clubs – Fla/Flu (Flamengo contre Fluminense) à Rio de Janeiro, Sao Paulo contre Palmeiras, ou encore le Deportivo et l’America à Cali, pour ne citer que ceux-là – mais aucune ne connaît l’intensité de la rivalité entre Boca Juniors et River Plate à Buenos Aires. Il faut dire qu’avec plus du tiers des équipes du championnat d’élite qui sont de la ville ou de la province de Buenos Aires, les clàsicos sont monnaie courante. Aussi, les rencontres entre clubs tels que Independiente, Vélez Sarsfield, Racing ou San Lorenzo, ne sont pas dénuées d’intérêt, mais tout Argentin sait que l’amour n’est pas exclusif et il est fréquent qu’un supporter d’un autre club se choisisse River ou Boca comme seconde famille, à défaut d’être la première. Du même coup, ce Superclàsico dépasse les frontières de la ville et divise toute l’Argentine entre Boquenses et Millonarios.

Les frères ennemis

Il est surprenant de découvrir les points communs que peuvent avoir les deux clubs lors de leur gestation. Tous deux nés dans le quartier portuaire de Buenos Aires, La Boca, les hasards du port forgent dès le début leur identité. Ainsi, Boca Juniors, fondé pourtant par des immigrés génois (d’où leur surnom de Xeneize, en patois de la ville italienne), se choisit les couleurs jaune et bleu d’un bateau battant pavillon… suédois. Quant à la fusion de deux petits clubs de quartier, c’est l’inscription « River Plate » vue sur des caisses transportées par des marins qui lui vaudra son baptême.

La rivalité entre Boca Juniors et River Plate serait née d’un match disputé en 1931, arrêté avant son terme pour une bagarre générale entre joueurs, qui s’est prolongée par une bataille rangée entre supporters des deux clubs. Pour ma part, je crois qu’il faut plutôt remonter à l’origine de cet incident, dans les années 1920, avec le déménagement d’un de ces deux clubs, River Plate, du quartier populaire de La Boca vers Nuñez, le quartier nord huppé de la capitale. Ce déménagement, ainsi que l’acquisition d’un joueur à prix d’or dans les années 1930, donnera à River Plate le surnom du club des Millonarios (millionaires), ce qui permet à ses supporters d’affubler ceux de Boca Juniors du quolibet « bosteros » (bouseux).

Afin d’éviter toute interprétation qui prêterait à confusion pour les lecteurs friands de lutte des classes, je dois rappeler ici que la toute première grève dans le football est le fait de joueurs de River Plate, et que le second âge d’or de Boca Juniors (1996-2008) est le fait de son président Mauricio Macri, qui en a profité pour se faire élire maire bien ancré à droite de Buenos Aires.

Grinta y gallinas

C’est donc plutôt dans une divergence d’ordre sportif qu’il faudrait chercher la véritable opposition entre les deux clubs. Alors que l’identité de River Plate est marquée par la Màquina, surnom donné, dans les années 1940, à la ligne de cinq attaquants talentueux que viendra renforcer en 1945 un « remplaçant » nommé Alfredo Di Stefano, Boca Juniors se réclame plus du football physique et plus direct, inspiré du Catenaccio d’Helenio Herrera, de l’ère Juan Carlos Lorenzo, à la fin des années 1970. C’est cette opposition de style qui vaudra à River Plate le quolibet « gallinas » (poules mouillées), suite à un match les opposant à Penarol de Montevideo, dans lequel ils menaient 2-0, avant de le perdre 2-4. Les supporters de Boca Juniors, par ce surnom dont ils affublent leurs rivaux, souhaitent marquer leur ancrage dans la culture de la « grinta » (sorte d’esprit combatif) chère à beaucoup d’Argentins.

Un examen des joueurs des deux clubs pourrait presque étayer cette thèse. Les talents « de poche », avec « Pablito » Aimar, Ariel « El Burrito » (le petit âne) Ortega, Javier Saviola, Marcelo « El Muñeco » (la poupée) Gallardo, Daniel « El Pistolero » Passarella, Santiago « El Indiancito » (le petit indien) Solari, Roberto « El Ratoncito » (la petite souris) Ayala, Javier « El Jefecito » (le petit chef) Mascherano, et les attaquants de classe mondiale tels que Alfredo Di Stefano, Gonzalo Higuain, Hernan Crespo, Radamel « El Tigre » Falcao, Marcelo « El Matador » Salas, et particulièrement « le Prince » Enzo Francescoli sont pour River. Mais que dire des talents de Boca, beaucoup moins nombreux, certes, mais où figurent tout de même Martin Palermo, Carlos « l’Apache » Tévez, Juan Roman Riquelme et enfin et, surtout, l’alliage entre le génie et la grinta, Diego Armando Maradona. Il reste que le panthéon de Boca est plutôt dominé par la culture tactique de ses entraîneurs emblématiques Juan Carlos Lorenzo (1976-1979) et Carlos Bianchi (1998-2001, 2003-2004, et 2012).

Hinchas et Barras bravas

Ce qui a poussé un célèbre newsmagazine américain, donc peu empreint de culture footballistique, à classer le Superclàsico parmi les 100 destinations à ne pas manquer avant sa mort, reste sans doute l’extraordinaire passion des supporters (Hinchas) et des ultras (Barras bravas). Certes, cette même passion a poussé les autorités argentines à ne plus autoriser les déplacements de supporters visiteurs depuis quelque temps, ce qui prive les spectateurs des amabilités échangées entre le virage visiteurs et le reste du stade. Mais si le Superclàsico y a un peu perdu de sa saveur, il n’y a pas perdu de son intensité.

A ce niveau, Boca Juniors a l’avantage avec son stade de la Bombonera (la boîte de chocolats), plus petit que le Monumental de River Plate (en Argentine, les clubs ont leur propre stade, à l’anglaise), mais 50 000 places tout de même, sans piste d’athlétisme et avec sa tribune verticale due à un problème foncier.

Face à « El 12 », surnom des supporters de Boca Juniors, les Barras Bravas de River Plate ne sont pas en reste. L’une d’entre elles, les « Borracheros del Tablon » (littéralement, « les alcoolos du comptoir »), soigne particulièrement son entrée au Monumental. Une zone centrale du virage reste vide et le groupe fait son entrée juste avant le coup d’envoi à grand renfort de chants repris par le stade et de drapeaux… japonais (le rouge et blanc sont les couleurs du club).

Xeneize contre Gallinas, ou Millonarios contre Bosteros, selon le camp où on se place, le Superclàsico de Buenos Aires reste le plus grand derby d’un monde du football où la télévision ne dicterait pas ses choix.

Abdullah Abaakil

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