Les clubs marocains et l’Afrique, un amour difficile

Le FUS et le MAS qui célèbrent leurs titres africains de 2010 et 2011, le WAC qui regrette encore sa finale loupée contre l’Espérance de Tunis, le Raja qui s’arrache les cheveux après une élimination prématurée en mars, le Difâa d’El Jadida qui fait le plein contre Al Ahly… L’Afrique, aujourd’hui, c’est important pour nos clubs. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas. Retour sur une relation compliquée, et pas toujours très nette.

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Photo : DR

L’Age de glace (1965/1982)

C’est en 1965 que la CAF crée la première Coupe d’Afrique des clubs champions sur le modèle de la compétition européenne. Les FAR participent à la quatrième édition, en 1968. Ils passent trois tours et se retrouvent en demi-finale face au Tout-Puissant Englebert de Lubumbashi. Oui, c’est bien le club qui deviendra plus tard le Tout-Puissant Mazembe dans le pays qui deviendra plus tard la République Démocratique du Congo. Le club, déjà à l’époque, est adepte du brand-naming puisque Englebert est un fabricant de pneus. Les militaires reviennent à la maison avec un match nul, le retour est présenté comme une formalité. La claque : défaite 1-3 à domicile et élimination. Et le Tout-Puissant Englebert peut ensuite aller chercher la coupe en battant en finale les Béninois de l’Etoile Filante de Lomé. Cette défaite est mal vécue au Maroc. Najib Salmi s’en souvient : « C’était traumatisant, tout le monde se voyait déjà en finale, la presse s’est mise à tomber sur l’arbitrage »… En cause également, en vrac : les voyages épuisants, le confort incertain, le climat pénible… Ce qu’ encore aujourd’hui on désigne sans complexe sous le vocable de « aladghal al ifriqiya », littéralement la jungle africaine. Ajoutez à cette liste des coûts de transport élevés, un prestige contestable et vous obtiendrez le résultat : presque deux décennies sans participation marocaine. On ne peut pas parler de boycott, juste de désintérêt profond. Les clubs ne s’inscrivent pas, tout simplement. Le Maroc est tourné vers l’Europe, il vibre pour la Coupe Mohammed 5, un tournoi amical où le champion du Maroc affronte des clubs prestigieux du reste du monde. Un tournoi sur invitation, certes, mais aux affiches alléchantes : on parle ici de Boca Juniors, du FC Barcelone,  du Bayern Munich ou de l’Ajax Amsterdam, tous présents dans les années 1970, l’époque la plus prestigieuse du tournoi. La méfiance du Maroc vis-à-vis de la Confédération Africaine de Football va plus loin, puisque l’équipe nationale ne participe pas non plus aux premières éditions de la Coupe d’Afrique des Nations. Le Maroc débarque enfin à la CAN 1972, et là encore ça se passe mal. Najib Salmi : « On était dans une poule de quatre et on s’est retrouvés à égalité avec le Congo Kinshasa. La CAF n’avait pas prévu ce cas, alors ils ont décidé de faire un tirage au sort, et quand les Marocains se sont pointés au rendez- vous, on leur a dit que c’était fini, que le Maroc était éliminé. On est partis en claquant la porte. On s’est mis à bouder, on était même sûrs de bouder à vie ». La victoire du Mountakhab en 1976 est un îlot perdu dans cet océan de ressentiment. L’idée la plus communément admise à l’époque étant que nous n’avions rien à apprendre en Afrique, que nous ne pratiquions pas le même sport. Aucun club marocain ne participera donc aux compétitions CAF jusqu’en 1982.

Le dégel (1981/1985)

Le réveil est venu de Kénitra. Lorsqu’en 1981, Mohamed Doumou, président du KAC, déclare à l’assemblée générale de la FRMF qu’il compte inscrire son club aux compétitions africaines, il est accueilli avec scepticisme. Il sait qu’il a une grande équipe (le duo d’attaque Jamal/Boussati terrorise le championnat) et il sent que le Maroc doit exister en Afrique, que le statut du pays impose une présence. Les Kénitréens sont éliminés au premier tour par les Algériens de l’AS Koubba, une défaite vexante à domicile 1-3, vécue comme un écho à la gifle de l’équipe nationale contre la sélection algérienne trois ans plus tôt. Doumou ne se décourage pas, remet la main à la poche et réinscrit son club pour la saison suivante, et le KAC passe deux tours avant de tomber en quart de finale. Le MAS suit en 1984 et lance définitivement la machine, les clubs marocains ne snoberont plus jamais la compétition. Mais si certains dirigeants sont convaincus, le public, lui, continue de bouder. Saïd Belkhayat, président du MAS à l’époque (et futur membre de la CAF), raconte : « Lorsque le MAS a reçu les Shooting Stars avec Rachidi Yekini, le stade n’était pas plein, on était loin de la foule que pouvaient attirer les matchs contre le WAC, le Raja ou les FAR… Nos adversaires prenaient les choses plus à cœur que nous, leur fédération leur payait le transport, ils venaient avec de grosses délégations… C’était pour eux une question de prestige ». Au tour précédent,  les Fassis avaient éliminé les Béninois du Dragons de L’Ouémé, l’occasion d’admirer le jeune Abedi Pelé dans ses œuvres, 16 ans et déjà la classe. Belkhayat : « On a essayé de le faire venir mais c’était impossible, il demandait 5000 dirhams par mois, cela aurait été une catastrophe dans le vestiaire ».

L ‘année suivante est la bonne pour le Maroc : l’énorme équipe des FAR remporte le trophée pour la première fois. Il n’y a plus de problèmes de logistique, l’équipe utilise les moyens de transport de l’armée, les choses sont prises au sérieux, mentalité militaire oblige. Si le public ne s’enflamme toujours pas, il est heureux de constater que le Maroc, enfin, rejoint les clubs tunisiens, algériens et égyptiens qui dominent la compétition.

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L’Age d’or (1988/1999)

Entre 1988 et 1999, c’est la moisson : quatre Coupes d’Afrique des clubs champions, rebaptisée Ligue des Champions en 1997, trois pour le Raja et une pour le WAC. Le public casablancais se passionne pour ces matchs difficiles, les scores retournés, les séances de penalties, le combat physique, les matchs en nocturne et l’adrénaline de l’élimination directe… La légende s’écrit. Mieux médiatisée, mieux dotée en primes, la compétition est considérée comme prioritaire. Les clubs recrutent au sud, le Sénégalais Moussa N’daw devient la superstar du WAC. En 1994, à la tête de la FRMF, le Général Housni Benslimane décide de prendre en charge les déplacements africains de tous les clubs, par avion militaire, il n’y a donc plus aucune excuse possible. En 1999, lorsque le Raja va chercher la coupe promise à l’Espérance de Tunis au bout d’un match épique, plus personne chez nous ne met en cause l’importance de la compétition. On ne se doute pas à l’époque que ce trophée, le plus prestigieux des clubs africains, se refusera ensuite à nos équipes pendant de longues années. La CAF, toujours sur le modèle européen, a créé deux autres coupes : la Coupe des vainqueurs de coupe et la Coupe de la CAF, gagnée par le KACM en 1996. C’est désormais dans ces deux autres coupes, moins glorieuses, que les clubs marocains vont s’illustrer.

L’Age de raison (1999…)

Depuis quinze ans, les clubs marocains n’ont plus soulevé de Ligue des champions, malgré les deux finales disputées par le Raja en 2002 et le WAC en 2011. Ce n’est pas par manque de moyens, ni par esprit de supériorité, encore moins à cause d’un complot des arbitres du continent, mais bien par manque de compétitivité sur le terrain. La formation est en cause, c’est une évidence… Il reste les deux autres coupes, tombées dans les escarcelles du WAC, du Raja, des FAR, du FUS et du MAS ces dix dernières années. Un beau lot de consolation, et sans doute le véritable indicateur de nos limites actuelles.

La Ligue des champions africaine, c’est désormais l’objectif de tous nos clubs champions. En trente ans, cette compétition est passée du statut de punition à celui de parcours héroïque vers la gloire. Les étoiles africaines sont désormais brodées sur les maillots. En 2012, alors que leur équipe file vers le premier titre de champion de son histoire, les supporters du MAT Tétouan brandissent un tifo aux couleurs africaines pour célébrer leur arrivée dans les compétitions continentales. Si on continue de parler chez nous de « adghal » sans discernement, le snobisme n’est plus de mise. En exemple, les Egyptiens d’Al Ahly qui, forts de huit Ligues des champions, et de leurs 4 Coupes d’Afrique des vainqueurs de coupes, se présentent tout simplement comme « le plus grand club de l’univers ».

Même si nous en sommes loin, le bilan des clubs marocains en Coupes d’Afrique cumulées est correct. Troisièmes, nos clubs font donc largement mieux que notre sélection nationale, malgré le temps perdu à refuser ces compétitions. Un temps perdu et une attitude hautaine dont on aimerait croire qu’ils appartiennent au passé. Imaginez donc que nous avons réclamé d’organiser plus souvent une Coupe du Monde qu’une Coupe d’Afrique !

Palmarès

1985 : FAR – Coupe d’Afrique des clubs champions
1989 : RCA – Coupe d’Afrique des clubs champions

1992 : WAC – Coupe d’Afrique des clubs champions

1996 : KACM – Coupe de la CAF

1997 : RCA – Ligue des champions

1999 : RCA – Ligue des champions

2002 : WAC – Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupes

2004 : RCA – Coupe de la CAF

2005 : FAR – Coupe de la CAF

2010 : FUS – Coupe de la CAF

2011 : MAS – Coupe de la CAF 

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