Ta vie en l'air. Pur arabica

Par Fatym Layachi

La télé, les réseaux sociaux et les discussions autour de la harira sont formels. Ce qui se passe sur la Terre, pourtant trois fois Sainte, n’a pas grand-chose de liturgique : du feu, des explosions, des blessés. Ça te rend triste. Parce que tu es humaine, tu sais faire preuve de sollicitude et d’empathie. Juste ce qu’il faut. Tu ne vas tout de même pas aller jusqu’à regarder un reportage pour tenter de comprendre ce qui se passe. Mais toi aussi tu postes un statut Facebook en colère. Pas trop non plus, il faut essayer de rester gracieux. Alors tu es un peu révoltée. Parce que la paix, ça serait tellement mieux pour ce monde tourmenté. Alors tu postes aussi une belle image de colombe. Celle de Picasso te semble parfaite. Les lignes épurées te plaisent beaucoup. Les petites notes de couleurs aussi. Tellement plus arty qu’un banal rameau d’olivier. Heureusement, tu ignores totalement que Picasso était communiste. Tu n’as pas forcément envie d’aller manifester. Tu es d’humeur à allumer des bougies. Tu trouves ça digne et solennel, les bougies.

Un truc te laisse cependant un peu perplexe : la solidarité arabe. Sous prétexte que quelques centaines de cavaliers auraient envahi ton pays dans un passé aussi lointain que mal expliqué, tu devrais te sentir liée viscéralement à des gens avec qui tu n’as pas grand-chose à voir. Bien sûr que tu trouves l’occupation horrible et que ça te rende triste, mais c’est un sentiment humain, universel. D’un autre côté, sur le plan « us et coutumes », tu n’as rien en commun avec des mecs habillés en pingouins vivant dans le désert. Et puis, surtout, tu n’as strictement aucune envie de t’identifier à eux. A la rigueur, les Egyptiennes des films des années 1950, tu les trouves sublimes. Mais les mecs qui interdisent à leurs femmes de conduire et que tu croises au ski se pavanant avec de sublimes Russes qu’ils aspergent de vodka… Non vraiment, tu as beau chercher, tu ne vois pas du tout ce qui te lie à ces gens. Mais là c’est une tragédie. Alors il faut être solidaire dans la tragédie. Quitte à en devenir indécent. Ta timeline a des allures de concours d’à qui fera le plus pleurer dans les chaumières à coups de photos morbides. Tu ne comprends peut-être pas grand-chose aux enjeux géopolitico-économiques. Mais le peu de bon sens dont tu disposes te fait penser que si ces vingt-deux pays s’étaient vraiment ligués pour tenter de régler ces conflits, ils y seraient arrivés. Alors tu te demandes un peu ce que font les Arabes.

Au moins les Européens, ils se sont mis d’accord sur deux trois trucs avant de se déclarer comme union. Schengen, pas de guerre, stratégies communes, protéger ses populations… ici, c’est légèrement plus flou. Tu aurais des « frères » et des « sœurs », mais pas forcément le genre à te soutenir dans l’adversité. Pleurer avec toi, ça oui. Mais se remuer pour t’aider, faut pas trop en demander non plus. Tu dois être solidaire d’un vaste truc nébuleux alors que tu ne peux même pas aller dans le pays voisin sans visa et qu’un barbu sorti d’une grotte au fin fond de ce qu’il appelle le Levant menace de faire exploser ses sbires à côté de chez toi. Tout ça parce que vous parleriez la même langue ? Postulat qui est absolument faux. Certes, vous prononcez le même genre de sons, vous écrivez tous des textos avec des chiffres et des lettres, mais toi, quand tu parles, c’est quasi incompréhensible pour quiconque ne serait pas ton compatriote. Mais au moins, c’est la tienne de langue. Et c’est déjà ça. Tu es déjà suffisamment paumée et assujettie à bien des contraintes sociétales pour ne pas en plus qu’on te prenne la tête avec une langue que personne ne parle mais que tout le monde fait semblant de comprendre à cause d’un vague fantasme de soi-disant cohérence supranationale.