Saïd Saâdi : «La ligne originelle 
du PPS n’existe plus»

Photo : DR

Démission du PPS, vision du PJD, choix économiques du pays… Saïd Saâdi, connu pour être l’un des artisans de la réforme de la Moudawana, nous livre ses points de vue sans détour.

Saïd Saâdi est l’homme aux trois visages : militant de gauche d’abord, ex-ministre « féministe » ensuite, et enfin économiste anti-austérité. Enjoué, rigoureux, plutôt théâtral, il est éloquent et ne mâche surtout pas ses mots. Celui qui, de son propre aveu, a « horreur de la langue de bois », est désormais un homme affranchi. Depuis qu’il a claqué la porte de son parti, le PPS, Saâdi a choisi de continuer sa route seul, loin des calculs politiques et personnels.00

Le 8 juin, vous avez démissionné du PPS. Ce n’est pas la première fois que vous le faites. Peut-on dire que cette fois-ci c’est la bonne ?

Oui, c’est la bonne. En réalité, j’avais seulement gelé mes actions au sein du bureau politique en 2011. Trois ans plus tôt, j’avais demandé à être déchargé du pôle économique et social. Des « manifestations de dissidence », comme on dit, qui témoignent que mes problèmes avec la direction du parti remontent à 2006 ou 2007. Déjà à cette époque, le PPS n’avait pas été capable de prévoir la crise économique, ni de porter un intérêt aux contestations sociales. Je pense notamment aux émeutes de Sidi Ifni. Je trouve cela anormal pour un parti censé porter les attentes et les revendications des couches populaires. En 2011, le PPS a pris une position irresponsable et an-historique vis-à-vis du des jeunes du 20-Février, mouvement auquel il s’est farouchement opposé. Tout ceci est donc un enchaînement de déceptions et de désaccords.

C’est pourtant le dernier congrès du PPS qui vous a poussé à démissionner ?

J’ai attendu, car beaucoup de camarades ont fait pression sur moi pour que je reste. Cependant, ce dernier congrès, auquel j’étais candidat au poste de secrétaire général, a été entaché par des 
magouilles et des pratiques anti-démocratiques. Nabil Benabdallah n’a laissé aucune chance à ses adversaires et la liste des membres du comité central a été truquée.

Avez-vous tiré un trait définitif sur la politique ?

Je compte m’investir dans la recherche sur les alternatives économiques et sociales. J’aimerais travailler avec les mouvements sociaux, les centrales syndicales, mais aussi la société civile africaine et arabe. Pourquoi ne pas créer un think tank, par exemple ? Je suis presque certain de ne pas fonder un parti politique, ou alors il faudrait que j’en parle à mes camarades, mais cela ne m’attire pas. Je ne sais même pas si je vais aller voter aux prochaines élections, étant donné le bilan catastrophique du gouvernement actuel.

Vous critiquez la « dérive droitière » du PPS. Qu’entendez-vous par là ?

Le PPS s’est allié aux islamistes alors que le 8e congrès de 2010 avait circonscrit les alliances du parti à trois cercles : la Koutla démocratique, la gauche et le camp moderniste démocrate. Cette position s’appuie sur une analyse de l’islam politique au Maroc, qui considère que ce projet est antinomique au nôtre. En l’espace d’une année, la décision du congrès, qui est un choix suprême, a été balayée d’un revers de main. La position de la direction actuelle par rapport à la monarchie parlementaire est très floue, tout comme celle sur la parité. La ligne originelle du PPS n’existe plus.

Vous souhaitez donc que les ministres PPS quittent le gouvernement ?

Un parti de gauche ne peut pas s’allier à un parti libéral et conservateur, c’est contre-nature. Le PPS est au gouvernement depuis 1998, toute chose doit avoir une fin. D’ailleurs, la gauche dans son ensemble aurait dû quitter le gouvernement dès 2002. A partir de cette époque, le pouvoir s’est dit que le Maroc n’avait pas besoin de démocratie mais de projets économiques qui puissent créer le maximum d’emplois. Ce pari nous a conduit vers l’impasse : exacerbation des tensions sociales, disparités économiques entre régions, développement du capitalisme de connivence… La gauche, en restant au gouvernement, a cautionné ces choix, contre son gré. Je suis moi-même responsable de cette dérive.

Vous êtes contre les politiques d’austérité. Que préconisez-vous ?

On ne peut pas sortir de cette impasse sans redistribution des revenus et des richesses. Il faut une taxation différenciée des produits de première nécessité et des produits de luxe, pour encourager la consommation et la production locale. Le PJD l’avait inscrite dans son programme mais ne l’a pas faite. Nous devons aussi élargir la protection sociale et distribuer des allocations familiales. Quant à la Caisse de compensation, il faut la réformer mais pas aux dépens des classes moyennes et populaires. Le gouvernement de l’alternance l’a déjà fait, il faut aller récupérer l’argent des produits subventionnés auprès des riches et des entreprises, pour le réinvestir dans nos services publics. Enfin, il faut défendre nos entreprises et arrêter de signer des accords de libre-échange à tour de bras, alors qu’ils ont un impact négatif pour nous. L’Etat compte uniquement sur les investissements à l’étranger et l’exportation alors que l’Europe est en récession économique. Il est temps de mettre le paquet sur l’innovation, la recherche et le développement, mais également la réhabilitation du marché sud-sud.

Qu’est-ce qui vous agace le plus chez le PJD, leur conservatisme ou leur ligne économique libérale ?

Tout me gêne chez eux. Le PJD est favorable à la privatisation de l’enseignement supérieur et de la santé. Ils pratiquent une politique d’austérité dont le FMI fait l’éloge, et sont pour la libéralisation de l’économie. Pourquoi n’ont-ils pas fait de réforme fiscale ? Pourquoi n’ont-ils pas procédé à la réaffectation des ressources entre ministères afin de donner plus de poids aux départements sociaux ? En matière d’économie, le gouvernement dispose d’une marge de manœuvre, encore faut-il avoir du courage. Celui-ci a décidé de ne pas gêner les puissants et de transférer la souveraineté économique du pays au FMI.

Que pensez-vous des récents propos de Abdelilah Benkirane sur les femmes actives ?

Il est cohérent avec les thèses de son parti, qui considère que la place première de la femme est au foyer. L’islam politique ne croit pas en l’égalité des sexes, il croit en la complémentarité des rôles. Le PJD, de manière plutôt habile, arrive à cacher son jeu, mais de temps à autre il sort des éléments de son référentiel comme s’il voulait rassurer sa base électorale. Benkirane est un vrai animal politique, mais il n’a aucune solution aux problèmes du pays. Vous avez vu le remaniement ? Les postes clés sont directement gérés par le Palais.

PROFIL

1950. Naissance à Derb Soltane, Casablanca.

1957. Perd l’usage de la main droite suite à un accident.

1967. Obtient son bac à 17 ans en tant que candidat libre.

1989. Remporte le Grand Prix Maroc du livre.

1999. Participe à la réforme de la Moudawana.

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer