Ta vie en l'air. Question de standing

Par Fatym Layachi

L’été approche, mais tu penses déjà à la rentrée et son lot de résolutions. Toi, tu aimes bien avoir de grands projets, à défaut d’avoir de grandes ambitions ou d’envisager de faire de grandes choses, tu fais des listes. Et ta grande décision du moment c’est de te trouver un appart’ avant septembre. Alors tu te lances dans les recherches et tous les appartements que tu envisages sont forcément ceux estampillés « très haut standing ».  Petite précision orthographo-grammaticale : cette expression qui, en plus de ne rien vouloir dire, n’est absolument pas un gage de qualité supérieure, justifie simplement le prix exorbitant du mètre carré. Le snobisme a un prix, celui de l’indécence. Alors tu vas visiter un de ces appart’ avec un type qui serait prêt à vendre sa sœur pourvu qu’il ait sa commission. La prétendue merveille du jour a trois chambres, non pas que tu sois mère de famille nombreuse mais c’est comme ça. Et peu importe si les pièces sont minuscules donc impossibles à meubler. Mais ça, l’architecte n’a pas dû s’en préoccuper. Lui, visiblement, sa seule mission était d’apposer sa signature au bas de plans qui feraient miroiter un immense profit à un promoteur véreux.

Mais le must, ce qui est censé épater la galerie et surtout le pigeon d’acheteur potentiel, à savoir toi aujourd’hui, ce sont les matériaux pour les sols, la robinetterie et autres poignets de porte. Du marbre et des trucs qui brillent. Bon cheap bon genre. Deux colonnes à la prétention gréco-romaine en plein milieu du salon, des vasques dignes de la pire caricature de tableaux orientalisants en guise de lavabos pour les invités et des faux plafonds qui te donnent autant la nausée que la plus frelatée des vodkas. Du tape à l’œil, du clinquant à la limite du grotesque tellement le mélange des genres est douteux, assez proche de la catastrophe visuelle. Les gars qui se lancent dans l’immobilier  comme des chercheurs d’or feraient bien de lire un peu les magazines d’archi, de déco ou de design pour avoir une vague idée de ce à quoi peut ressembler le raffinement. En 2014, il n’y a plus que dans les cimetières que le marbre reste tendance. Mais bon, tu ne te vois pas expliquer à un mec dont le seul objectif dans la vie est de faire riche que le béton ciré c’est hyper-chic. Et il y a aussi les fameuses baies vitrées, un des autres critères de luxe visiblement. Sauf que la rue est tellement étroite que si tu habitais cet appart’ tu vivrais avec les rideaux tirés en permanence pour éviter d’avoir l’impression d’être en coloc avec les voisins d’en face. Sans oublier que les murs ont l’air d’être en carton. Tu entends le mec du dessus tirer la chasse et faire des gargarismes. Très classe ! Du clinquant et rien de ce qui suit n’est à la hauteur. Cet appart’ te ressemble finalement en bien des aspects.

Tu vis dans un univers où il suffit d’installer un resto sur une plage pour se croire à St-Trop, les paillettes en moins, le vide sidéral en plus. C’est comme pour les hôtels. Le nombre de cinq étoiles que compte ce pays est hallucinant. Par contre, rien ne te garantit d’avoir une salle de bain clean ou une réceptionniste qui sait faire une phrase sans s’étouffer avec le chewing-gum qu’elle mâche avec autant de grâce qu’une vache qui ferait le trottoir. Finalement, comme les normes, les certificats et les étoiles s’achètent, le moindre truc avec un peu de poudre aux yeux devient estampillé luxe.

Et, d’ailleurs, cet été tu as déjà prévu de louer une baraque scabreuse en bord de mer pour le même prix qu’une maison super bien équipée à Saint Barth’, avec en prime strictement rien à foutre et le tberguig pour unique nourriture spirituelle.