Ta vie en l'air. Mauvais casting

Par Fatym Layachi

Avoir passé une nuit avec un type après une folle soirée ne fait pas de ce faux beau gosse « son mec »

Ton téléphone sonne, c’est Zee. Tu soupires avant même de répondre : tu sais ce qu’elle veut. Tu t’armes de patience et sors ton allo le plus poli. Elle veut que tu la rejoignes pour le déjeuner afin qu’elle te présente son mec. Tu as eu beau lui expliquer que non, qu’avoir passé une nuit avec un type après une folle soirée ne fait pas de ce faux beau gosse « son » mec, elle est convaincue que si. Elle te ressort sa perpétuelle diatribe que non, là c’est différent, là il s’est passé un vrai truc. Cette fois, elle a senti une vraie connexion, c’était fou. Pour l’instant, c’est plus elle que tu prends pour une folle, mais bon, tu acceptes ce déjeuner. Tu as tout de même une condition : tu veux manger japonais. C’est bien, c’est beau, c’est frais, c’est light… Bref, tout ce que tu aimes et tout ce dont tu as besoin. Zee, de sa voix la plus mielleuse, t’explique que ça ne va pas être possible parce que son nouveau chéri n’aime pas les sushis. Tu as du mal à cacher ton dépit.

Avant même de l’avoir rencontré, tu as catalogué cet Apollon. Premièrement, tu trouves qu’il manque absolument de finesse. Tu considères que l’indice de développement du raffinement se mesure aux capacités à apprécier les sushis. Et deuxièmement, ce garçon est inculte parce que la gastronomie du pays du soleil levant ne se limite pas aux poissons crus sur du riz. Mais pour ça, encore faut-il regarder plus loin que le bout de son tajine. Ce que visiblement ce garçon ne doit pas faire souvent… Finalement, tu te résignes et acceptes d’aller dans le resto qu’a choisi monsieur. Ça a l’air de faire plaisir à Zee et, après tout, c’est la seule chose qui compte aujourd’hui. Alors, tu les rejoins.

Tes intuitions se confirment. Il ne te plaît pas du tout. En moins de dix minutes, il a réussi à t’agacer. Il ne parle que de lui et n’a vraiment rien à dire. Tu te demandes ce que Zee peut bien lui trouver. Sans doute rien. Il est cet écran noir sur lequel elle fait son cinéma. Mais lui, contrairement à Nougaro qu’il ne connaît sans doute pas, n’a ni cœur ni estomac. Il n’a même pas de saveur. Il est gras. Il a les mains rêches. Il fait partie de ces idiots à la virilité si incertaine qu’ils ne mettent pas de crème de peur que ça les rende homo. Elle cherche ton approbation. Tu fuis son regard. Tu trouves le garçon débile et ta copine totalement niaise. Il dit des inepties. Elle invoque le destin pour consolider leurs points communs : « C’est IN-CRO-YABLE, tu te rends compte, on est tous les deux nés un jeudi et on adore la musique du Grand Bleu ». Ce qui est incroyable surtout, c’est la manière dont il s’extasie sur ses pâtes à l’huile, tout en étant convaincu d’avoir autant de classe qu’Al Pacino.

Tu tentes quelques petites pointes de provoc’, plus pour t’occuper que pour créer un quelconque débat. De toute façon, tu as cessé les rapports de force quand tu as compris que tu gagnerais tout le temps, surtout avec cet énergumène dénué de tout esprit critique. Alors tu laisses couler. Tu souris. Tu ne cherches même pas à discuter. Ta tête est ailleurs. Tu penses à tes vacances au soleil et à la certitude que tu ne partiras pas en voyage avec eux. Ce repas trop gras touche enfin à sa fin. L’addition arrive. Tu fais semblant de sortir ton porte-monnaie. Juste pour te délecter de son air de Parrain de troisième catégorie vexé qu’un être du sexe faible ose lui faire l’affront de vouloir payer alors qu’il est là, lui qui se fait un point d’honneur d’inviter. Zee ressemble à tout sauf à elle-même. Les femmes sont-elles condamnées à tricher pour avoir l’air d’être la fille dont rêve le mec avec qui elles ont envie de se maquer ?