Zakaria Boualem et le mariage des mineures

Par Réda Allali

Salut à vous, les amis. Zakaria Boualem vous accueille avec des petits gâteaux et des grands sourires. Vous êtes glorieux, chers bâtisseurs du Maroc Moderne SARL. Il est là pour vous divertir, rien de plus, pendant que vous travaillez comme des Chinois à l’édification de notre lumineux futur. C’est dans cet état d’esprit de dévouement que le Guercifi a regardé 2M dimanche soir, il espérait de nos héros de l’audiovisuel national quelque exploit qui lui permette de remplir besogneusement sa page hebdomadaire. Mission accomplie, qu’ils trouvent ici l’expression de sa gratitude. Zakaria Boualem, donc, a eu droit à une émission en forme de plongée dans les ténèbres, une sorte de compilation à l’envers, oui, the « worst of Morocco »… Le reportage concerne une dame de la campagne du nom de Rabha, que sa famille a décidé de marier. On dit une dame mais c’est en fait une fille de 14 ans. Sa maman organise donc une union avec le fils de son frère, c’est logique. Comme la petite n’a pas de carte nationale, tout ce beau monde se réunit et lit la Fatiha, en l’absence du mari qui travaille dans une autre ville. Quand elle rejoint son mari, elle est un peu déçue : il est sourd-muet et il la maltraite. Après deux ans de vie commune, elle le quitte enceinte et retourne chez elle accoucher d’une petite fille. Mais voilà, comme le mariage n’a pas été officialisé, la petite n’a pas de 7ala madania. Elle n’existe pas en quelque sorte.

L’abnégation que notre système administratif déploie pour nier la réalité force le respect. Donc Rabha se bat pour faire reconnaître sa fille et l’envoyer enfin à l’école. Elle se heurte à son beau-père, qui est, rappelons-le, son oncle. Sa mère, de son côté, lui en veut un peu parce qu’elle avait proposé d’abandonner la gamine à la naissance mais elle n’a pas été écoutée. Il est vrai que le respect se perd un peu, dernièrement. A force de tribunaux, on finit par reconnaître le mariage, après une scène surnaturelle où un juge interroge le mari, sourd- muet, sans aucune forme d’expert pour servir d’interprète. Un témoin explique au passage qu’il est courant de se marier juste avec la Fatiha, qu’il est d’usage de faire « le papier » uniquement après le troisième gosse, et tout le monde a l’air de trouver tout cela parfaitement normal. Voilà pourquoi nos fictions sont banales : c’est la réalité qui est trop puissante pour leur laisser de la place. Le reportage finit bien, la petite est reconnue et elle va à l’école et 2M, qui s’est trop longtemps retenue, nous offre pour terminer un plan magnifique de la petite fille qui danse dans le hall du tribunal sur fond de violons. Ils sont au top.

Zakaria Boualem a éteint la télé dans un état de torpeur subaquatique, les violons n’y sont pour rien. Il y a tellement de sous-développement dans cette histoire qu’il est bien possible que cette page s’autodétruise de honte. Il a envie de mettre tout le monde en prison : la maman, l’oncle et le mari, et dans la foulée ceux qui ont rédigé notre Code civil. Il n’a pourtant pas grandi dans une bulle, le Guercifi, il est lui-même un noble produit du Maroc inutile SARL. Mais à force, il avait fini par oublier la réalité de nos campagnes. La loi n’y a pas accès, c’est terrible. On peut demain faire une loi pour interdire le mariage des gamines, rien ne permettrait de l’appliquer. On me signale d’ailleurs que la loi existe, le point précédent est donc confirmé. Notre pays a perdu la main sur notre pays. La puissance de l’existant, l’anesthésie collective et une certaine inefficacité générale font qu’on ne peut presque jamais changer les choses, même si on le voulait. Mais il serait injuste de terminer cette chronique sans respecter notre engagement de nous remonter le moral. Le point positif est là : l’association Solidarité Féminine de Aïcha Ech-Chenna, qui a assisté Rabha dans son procès, est tout simplement héroïque. Qu’elle trouve dans ces lignes l’expression de la plus grande admiration du Guercifi, et merci.