Mohcine Moutouali. Itinéraire d’un rebelle

Il est le capitaine d’un Raja de Casablanca qui se dirige vers son deuxième titre  consécutif de champion du Maroc.  Auteur d’un doublé lors du match décisif de la Botola face au Maghreb de Tetouan, Mohsine Moutouali a été sélectionné par Baddou Zaki pour le prochain stage de l’équipe nationale. Retour sur l’itinéraire de l’enfant terrible de la Botola.

18 décembre 2013, Marrakech. Le Raja mène deux buts à un face à l’Atletico Mineiro et nous sommes dans les arrêts de jeu. Les Verts vont passer en finale, c’est l’euphorie. Alors que les Brésiliens ont tous basculé en attaque, c’est Vivien Mabidequi les prend en contre, il va se présenter seul devant le gardien. Celui qui lui enlève le ballon des pieds n’est pas un défenseur mais un coéquipier : Mohcine Moutouali lui pique le cuir et d’une louche insensée, lobe le gardien. Transversale, Mabide reprend finalement et scelle le sort du match, il devait être écrit que c’est lui qui marquerait. Tout Mohcine Moutouali est dans cette action. Une sorte de folie, la recherche du geste historique, l’audace, en version originale : chouia dial l3ya9a. Quand on lui pose la question, il rigole : « Non, c’est juste que j’aime faire de jolies choses… » Il en a réalisé beaucoup, des jolies choses, le capitaine rajaoui. Trois titres de champion (2009, 2011 et 2013), une coupe du trône et un wagon de gestes décisifs. Rapide, technique et inspiré, le bonhomme est à l’origine d’une bonne partie des buts de son équipe. Quand l’équipe piétine, c’est sur ses épaules que pèse la responsabilité d’illuminer la grisaille. Et quand il piétine lui aussi, il encaisse une bonne part des invectives. « Oui, c’est insupportable, ces insultes, on les entend très bien du terrain, ça pourrit la vie… ».

Crédit photo : Omar Taïbi

 
Je t’aime, moi non plus

Si les rapports entre le public et l’attaquant sont compliqués, passionnels, c’est que le bonhomme n’entre pas tout à fait dans le moule du footballeur marocain tracé par les tribunes. Tout commence pourtant de façon très classique. Né le 3 mars 1986, « avec la hayha », enfance dans le quartier populaire de DerbSoltane, et une maman qui l’inscrit à sept ans…au Wydad. Nurse à l’hôpital, elle pose vaillamment chaque mois 1200 dirhams pour que le petit Mohcine joue au football… Il ne faut au gamin que quelques mois pour comprendre : « Il n’y avait que des fils à papa, il fallait payer pour jouer, je suis retourné dans mon quartier ». C’est à onze ans que feu Beggar le repère et l’emmène au Raja, qu’il ne quittera que pour deux éphémères prêts de six mois à Touargaen 2007 et aux Emirats en 2012. S’il fait souvent la différence balle au pied, Mohcine s’illustre également hors champ par quelques coups d’éclat retentissants. C’est parti. Une bagarre avec un coéquipier dans un avion vers la Turquie qui lui vaut un renvoi illico à la maison, un coup de poing à un arbitre en Coupe d’Afrique pour 6 mois de suspension, une sombre histoire de filles et de bouteille à Bamako qui ne l’empêche pas de faire un match retour héroïque, une obscénité en plein derby, etc. Créatif, mais encore classique : le Rajaoui turbulent, il y a de quoi en remplir un panthéon.

Hors cadre

Mais là où Mohcine innove vraiment, c’est lorsqu’il prend à contre-pied les normes de son milieu. Et qu’il l’assume. Ses nombreux tatouages choquent ? Il répond qu’il compte bien en ajouter un nouveau. On le questionne sur ses sorties? Il répondtranquillement qu’il ne voit pas où est le mal à sortir cinq jours avant un match boire un verre avec son épouse. Il n’esquive pas la question : « Et alors, même Messi boit… » Ses coéquipiers se terrent dans des cafés à chicha ? Il préfère les bonnes tables de Casablanca. Les footballeurs la jouent macho, cachent leurs femmes ? Il en parle librement, explique qu’elle est « son meilleur ami », qu’elle a changé sa vie. Au risque de voir ce portrait s’engager dans la voie du romantisme conjugal, il est nécessaire de faire intervenir Madame Moutouali. Yasmina, de son prénom, Franco-marocaine de son état : « On s’est rencontrés à l’examen du permis de conduire, on l’a passé le même jour, et voilà ». Entre la fille de la Mission française et le footballeur de DerbSoltane, c’est un peu un Roméo et Juliette sauce casablancaise. Deux filles, Neyla et Dina, viennent s’ajouter à la famille et leurs prénoms s’inscrivent aussitôt sur les bras du footballeur : « Mes filles m’ont beaucoup calmé, honnêtement, avant, j’étais un peu voyou… » Yasmina confirme : « Je l’ai toujours connu responsable, il s’occupe de sa famille à DerbSoltane depuis tout petit, les gens ne l’imaginentpas comme ça, mais c’est la réalité. Ce qui les dérange, c’est qu’il n’a pas froid aux yeux. Vous voyez quand il tire un pénalty à la dernière minute, qu’il assume ses responsabilités ? Il est comme ça dans la vie. »

Une spécialité, ces pénos interdits aux cardiaques. Contre l’Asec Abidjan en Coupe d’Afrique, l’AtleticoMineiro en Coupe du monde des clubs, ou le Difaâd’El Jadida pour le titre 2013. Tous réussis. Et quelques gestes invraisemblables aussi, comme ce but contre Al Hoceïma où il démarre de son camp pour finir par lober le gardien au bout d’une course folle. Un grand pont, deux contre-pieds, et un troisième quand on évoque ce but : « Beaucoup de chance dans ce lob… » Moins de chance quand on évoque l’équipe nationale, ou un départ en Europe : « J’ai eu deux offres de France en hiver, pour des clubs de première division, elles n’étaient pas vraiment satisfaisantes. Mais je vais sûrement partir cet été ». La Botola perdra alors un animateur de haut vol. Un joueur tout en décalages. Décalage entre son énorme talent et la réalité de sa carrière internationale, son attitude et l’hypocrisie sociale qui l’entoure, et enfin entre l’image qu’il renvoie et les témoignages de ceux qui le connaissent vraiment.

 

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