Harcèlement. Sois étudiante et tais-toi !

Considérées comme des cas isolés, les étudiantes victimes de harcèlement sexuel de la part de professeurs commencent à peine à briser le tabou. Un long chemin semé d’embûches.

Le harcèlement sexuel existe aussi à l’université. Certains en parlent comme un phénomène récurrent, presque banal. D’autres, comme le ministère de l’Enseignement supérieur, n’y voient que des cas isolés. Toujours est-il que le sujet met mal à l’aise. En 2013, Asmaa Bouday avait fait grand bruit lorsqu’elle avait publié sur Youtube une vidéo où elle racontait avoir été victime de harcèlement sexuel de la part d’un professeur, à l’Université de Safi. Depuis, la parole s’est quelque peu libérée et plusieurs étudiantes ont à leur tour décidé de témoigner. En plus des réseaux sociaux, quelques-unes ont également fait appel au gouvernement parallèle des jeunes, notamment Salah-Eddine Abkari, jeune ministre de l’Enseignement supérieur. Ce dernier n’a d’ailleurs pas manqué d’interpeller Lahcen Daoudi, son aîné, sur la question. Il lui a même fait parvenir, début avril, un mémorandum pour l’inciter à mettre en place une loi relative au harcèlement sexuel à l’université, à instaurer un contrôle rigoureux du travail de l’équipe pédagogique et à renforcer le pouvoir des doyens. Mais ni le ministère, ni l’université ne peuvent se substituer à la justice en cas de harcèlement sexuel.

« Tu n’auras pas gain de cause »

Asmaa Bouday ne s’est pas contentée de raconter son histoire sur les réseaux sociaux, elle a aussi poursuivi en justice le professeur qui l’avait harcelée à plusieurs reprises. « Les vidéos étaient le moyen de récolter du soutien auprès des gens mais aussi de faire pression sur l’enseignant.  Après, je suis allée me plaindre auprès d’un procureur du roi qui m’a conseillée de déposer une plainte écrite. Je l’ai fait quelque temps plus tard auprès de la police qui m’a tout de suite prise au sérieux », raconte-t-elle. Cela n’a pas été un long fleuve tranquille pour autant. En plus de l’enquête et des recoupements des témoignages, elle s’est exposée aux remarques du corps professoral, notamment à celle du doyen qui lui a clairement fait comprendre qu’elle n’aurait pas gain de cause, car le professeur en question « jouissait d’un certain poids au sein de l’établissement ». Elle a également dû supporter les virulents démentis du professeur en question dans les médias. Aujourd’hui, l’affaire est entre les mains de la justice et le verdict est prévu pour le 30 avril.

En attendant, le professeur n’a pas été démis de ses fonctions mais simplement muté à Agadir. D’après Salah-Eddine 
Abkari, c’est là que se situe 
le cœur du problème. « La loi 00-01 relative à l’enseignement supérieur n’évoque à aucun moment le harcèlement sexuel, et n’offre aucun outil pour permettre au doyen, au conseil administratif ou encore au ministre de licencier, suspendre ou sanctionner un professeur en cas d’accusation de ce genre », affirme-t-il. Le ministère de l’Enseignement supérieur, de son côté, se dit contraint d’attendre la fin du procès. « Une accusation de harcèlement sexuel nécessite toute une procédure qui relève des tribunaux, et plus globalement de la justice. Le ministre n’a pas le pouvoir de dire s’il y a eu délit ou non et donc de licencier un professeur sans se baser sur un jugement. Cela dit, lorsque le verdict sera prononcé, il sera possible de prendre une décision », justifie Mohamed Yassine Talal, directeur de cabinet de Lahcen Daoudi. Pour ce qui est de la loi, ce n’est pas son existence qui fait défaut, puisque l’article 503-1 du Code pénal punit déjà le harcèlement sexuel. Le problème, c’est d’apporter la preuve qu’il y a bien eu harcèlement.

Réduites au silence

Il y a près d’un an, Meryem était victime de harcèlement de la part d’un de ses professeurs. « Au début, je n’étais pas sûre que c’était bien ça, je me suis dit que j’exagérais les choses, puis j’en ai parlé avec mes amies, et là j’ai compris. Le pire c’est que ce professeur avait des antécédents avec des dizaines de filles avant moi », témoigne-t-elle, avant de poursuivre : « Certaines m’ont même dit, soit tu sors avec lui soit tu rates ton année ». Meryem décide alors d’en parler au directeur de son établissement. Celui-ci lui répond qu’il est au courant des agissements dudit enseignant mais qu’il ne pouvait rien faire, faute de preuve. « J’ai tout essayé. Je l’ai enregistré lorsqu’il me faisait des avances en échange d’une bonne moyenne, j’ai même essayé de convaincre plusieurs filles de venir témoigner avec moi auprès de la police, mais aucune n’a voulu le faire », affirme Meryem. Et lorsqu’elle est allée consulter un avocat, ce dernier lui a dit que les enregistrements vocaux étaient irrecevables et qu’elle ne pouvait donc « rien faire du tout ». Dans son établissement, Meryem ne peut pas non plus compter sur une oreille attentive au sein de l’équipe pédagogique, ni sur le soutien d’un bureau d’étudiants. « Nous étions réduites au silence, il n’y avait rien à faire. Un jour, j’ai fait mes valises et je suis rentrée chez mes parents. Bien sûr, j’ai raté mon année », avoue-t-elle.

A défaut de pouvoir se confier à une équipe pédagogique, certaines victimes de harcèlement se tournent vers les associations féministes. Selon Majdouline Lyazidi, fondatrice du mouvement WomanChoufouch, il y a encore très peu d’étudiantes qui osent s’exprimer. « Elles préfèrent rester anonymes car elles ont peur des éventuelles répercussions sur leur cursus. Certaines se disent que si un professeur est reconnu et estimé, alors elles perdront leur place à l’université », commente-t-elle. D’après elle, l’une des solutions serait d’initier des campagnes de sensibilisation, mais aussi de mettre en place des bureaux d’écoute au sein des établissements. Au moins deux points d’accord avec le ministère de l’Enseignement supérieur qui, en plus « de suivre chaque plainte, préconise des journées d’étude sur le sujet et la prévention ». Dans cette affaire, les syndicats de professeurs restent silencieux car « ils ont du mal à se positionner » selon Salah-Eddine Abkari. « Le scandale est nuisible. La grande majorité des professeurs font un excellent travail et ces cas minoritaires ternissent leur image », conclut Mohamed Yassine Talal.

Témoignages. Des victimes racontent 

Asmaa Bouday, étudiante à l’Université pluridisciplinaire de Safi. « La première fois, il m’a simplement dit qu’il pouvait m’aider à rattraper mes notes mais qu’on devait en parler ailleurs qu’à la fac. C’était bizarre et ses regards me gênaient déjà. La deuxième fois, il m’a dit que je lui plaisais, qu’il ferait de moi la meilleure étudiante de l’université et qu’il me destinait à un brillant avenir, à condition que je sorte avec lui. Il m’a alors touché les cheveux et je l’ai insulté. 
Plus tard, il est revenu à la charge. Il m’a tendu un double des clefs de sa maison et m’a dit : « Si tu as envie que je t’aide à réviser, c’est quand tu veux ». Ensuite, il a commencé à me menacer et à me traiter de tricheuse. Et lorsqu’il a su que je m’étais plainte auprès du doyen, il m’a dit que je ne pouvais rien contre lui ».

Meryem B., étudiante à l’ENCG de Tanger. « Je me souviens de cet après-midi. Je suis allée chercher ma convention de stage, c’était un vendredi, il n’y avait presque personne. J’ai alors croisé l’un de mes professeurs. Je lui ai demandé si la responsable des stages allait arriver, il m’a invitée à l’attendre dans son bureau. On a parlé de mes résultats, j’avais cinq matières à rattraper. Il m’a dit qu’il allait parler avec les professeurs concernés afin de valider mon année. Il m’a alors demandé de lui laisser mon e-mail avant d’ajouter : « Laissez-moi aussi votre numéro de téléphone comme ça on reste en contact ». En sortant du bureau, j’ai senti que cette petite discussion n’était pas totalement innocente. Mes soupçons se sont confirmés quand il a commencé à m’appeler sans relâche, jusqu’au bout de la nuit et jusqu’à la publication des résultats finaux ».  

 

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