Zakaria Boualem et la menace de grève des dépanneurs

Par Réda Allali

Amis oisifs, Zakaria Boualem vous salue. Il est possible que cela vous ait échappé, mais la bonne ville de Casablanca est le théâtre ces dernières semaines d’un affrontement social épique. Une joute de haute voltige, où une noble profession tente au mépris de son confort d’arracher sa dignité, c’en est presque émouvant. Les dépanneurs, car c’est bien d’eux qu’il s’agit, sont grognons. C’est magnifique. Au cours d’un sit-in spectaculaire, deux cents abominables véhicules orange, aux abords de la wilaya, menacent de faire grève, c’est un coup de pression effrayant. Zakaria Boualem préfère vous l’annoncer tout de suite : ne vous gênez pas pour lui. Vous pouvez faire grève jusqu’à la nuit des temps, vous ne manquerez pas à grand monde. Mais que demandent donc ces héros du Maroc moderne SARL ? Ils s’inquiètent, tenez-vous bien, des rumeurs faisant état d’un projet de concession des dépanneuses de la fourrière à « une société privée ». En passant, notez le vocable « société privée », avec ce qu’il sous-entend comme idée d’avidité, comme s’ils étaient de leur côté des disciples de Mère Teresa. On comprend leur angoisse. Ils risquent de se retrouver dépossédés de leur emploi malgré des années de bons et loyaux services.

Le chômage, quelle perspective effrayante ! Ce n’est pourtant rien comparé à ce que Zakaria Boualem leur souhaite. Il les trouve affreux. Ils se planquent tels des gredins aux endroits stratégiques, surgissent à vive allure pour enlever le véhicule en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, le balancent dans une fourrière miteuse où ils lui dégonfleront les pneus si vous tardez à le récupérer, histoire de proposer un service de changement de roue si besoin. Ils encaissent des pourboires pour annuler la procédure à n’importe quel moment, selon la doctrine qui veut que ce qui est illégal devient légal soudain avec quelques pièces, et ils repartent vaillamment à la recherche d’un nouveau pigeon. Zakaria Boualem connaît un type dont la voiture, mal accrochée, a été accidentée lors d’un remorquage en dépanneuse, je vous laisse imaginer le cauchemar pour obtenir réparation. Revenons à la grève : figurez-vous que ces braves gens protestent également contre « le manque de subventions pour le carburant, alors qu’il s’agit d’un service public ». Ya salaaam, c’est magnifique. Ils voudraient donc qu’on leur paie le carburant pour nous emmerder moins cher. Car oui, il s’agit d’un service public, et il est d’ailleurs surprenant que ce soit le seul qui fonctionne avec célérité. Garez-vous n’importe où, appelez une ambulance pour leur dire que vous avez un malaise et regardez qui arrivera en premier, l’ambulance ou le dépannage. Mais pour être honnête, il est fort possible qu’en déléguant cette affaire à « une société privée » on n’améliore pas forcément les choses. C’est notre destin d’être coincés entre des gens qui abusent de leur pouvoir aujourd’hui et d’autres qui abuseront de leur pouvoir demain. Préférez-vous vous faire soutirer vos deniers de façon informelle par des gens que vous avez fini par connaître ou vous faire voler officiellement par de nouvelles têtes ? C’est une question philosophique, elle dépend de votre attitude dans la vie.

Se garer à Casablanca est une abomination, y rouler aussi. Pour désengorger le trafic, il ne faut pas une ligne de tramway mais une dizaine. Des métros plutôt, parce qu’en travaillant en dimension unique, on attribue au tramway ce qu’on enlève aux voitures. Il faut des trottoirs où l’on puisse marcher, ça serait sympa, des parkings aussi. Bref, plein de choses qui sont plus compliquées à faire que de lancer des véhicules orange récupérer leur budget du week-end.

C’est tout, et merci.