Mustapha El Haddaoui nous raconte son Mondial 86

Par Telquel

« A côté de moi, j’entendais la poitrine de Briegel siffler, il était mal »

C’était il y a vingt-huit ans, le Maroc premier pays africain qualifié en huitième de finale d’une Coupe du Monde. Premier d’un groupe où il y avait l’Angleterre, le Portugal et la Pologne. On n’a jamais fait mieux depuis, évidemment… Mustapha El Haddaoui a joué tous les matchs, il suffisait de lui demander de nous raconter tout ça pour avoir un morceau d’histoire, brut et étonnant.

Les éliminatoires

J’ai joué tous les matchs de qualification, le Malawi, l’Egypte, tous sauf le dernier contre la Libye à Benghazi. J’avais eu un problème au match aller, à Rabat. On avait gagné 3 à 0 et à la fin du match, je suis allé au contact sur un ballon avec leur  capitaine d’équipe, un bon joueur. Il l’a mal pris, ils étaient vexés par le score… Dans le couloir, ça a dégénéré, on s’est échangé quelques coups de poing, El Biyaz s’en est mêlé, il n’est jamais loin dans ce genre de cas. Avec Faria, comme c’était plié, on a décidé que je ne joue pas le retour. D’ailleurs, en Libye, ils ont agressé Hassan, le défenseur du Raja, ils ont dû nous confondre, on avait la même coupe…

Les matchs de préparation

A l’époque, il n’y avait pas de date FIFA, on négociait avec nos clubs à chaque match pour qu’il nous libère. Je jouais à Lausanne Sport, ils ne voulaient pas me lâcher, alors que l’équipe du Maroc préparait la Coupe du Monde en Suisse. J’allais quand mêmeles voir à l’hôtel. Ensuite, ils sont partis en Irlande, je n’ai pas pu les suivre, on avait le clasico contre le ServetteGenève. C’est là ou Badidi s’est blessé. Ensuite, comme mon équipe était classée 4e, que j’avais fait une bonne saison, il m’ont libéré pour rejoindre l’mountakhab. On est partis au Mexique trèstôt. Un mois avant la Coupe du Monde

Le Mexique

On est arrivés les premiers. On nous a installés dans un centre, un truc pas militaire mais presque, on était seuls à loger là-bas. On a fait une trèsbonne préparation. Des séances lourdes, avec de l’aquagym, Jorvan s’en occupait. Physiquement on était au top. On écoutait de la musique, on jouait au billard, et de temps en temps quelques sorties ensemble, dans les galeries marchandes.

Entre nous, il y avait une bonne ambiance, mais impossible de vivre aussi longtemps sans tensions… El Biyaz s’était accroché avec Bouyahyaoui, pour une histoire de marquage lors d’un match amical. Faria était trèsénervé, il voulait renvoyer El Biyaz, c’est lui qui avait frappé en premier…On est intervenus, nous les cadres, avec Bamous, on a fini par les réconcilier.

La FIFA avait organisé uneréception pour chaque groupe, avec les staffs et les joueurs. On s’est pointés avec nos survêts’ rouges, avec l’anneau olympique. Tous les autres étaient classe, en costumes, les médias ne s’intéressaient qu’àBoniek, Lineker…Personnene venait nous voir, on était dans notre coin, personnene nous parlait. Ça nous a fait mal, on a senti l7ogra. On en rigolait entre nous, en se disait qu’on allait le leur faire regretter…

On se sentait fort, les matchs amicaux étaient bons, même si Timoumi ne jouait pas avec nous, il se réservait pour la compétition. Faria nous a organisé une visite chez les Brésiliens, à leur hôtel. J’ai encore les photos… Je me souviens que Socrates a dit àTimoumi :« Toi tu es un Brésilien, tu n’as pas un jeu de Marocain ».

On a négocié les primes avec Bamous, c’est moi qui représentais les joueurs : 15 000 dirhams pour un match nul et 30 000 pour une victoire. Plus 70 000  en cas de qualification en huitième. Au total, ça nous a fait 140 000 chacun, pour tous les joueurs de la liste.

Maroc/Pologne (0/0) et Maroc/Angleterre (0/0)

On n’avait pas d’instruction défensive, on savait ce qu’on avait à faire. En milieu de terrain, on jouait librement, à quatre avec Dolmy, Timoumi et Bouderbala. Le message de Faria, c’était qu’on était à leur niveau. On était un groupe qui avait gagné les Jeux Méditerranéens 83, on avait confiance en nous. Les déclarations des Anglais on s’en foutait, ça fait partie du jeu, un peu de provocation…Finalement, ce sont eux qui se sont énervés, Wilkins a pris un rouge, il a agressé Dolmy, il lui a labouré la figure.

Maroc/Portugal (3/1)

On jouait à midi, on s’est retrouvés au petit-déjeuner et Zaki nous a annoncé à table que les primes étaient annulées. Il avait entendu ça… On s’est levés de table et on est rentrés dans les chambres, tous. On se sentait trahis, ils n’avaient qu’à trouver des joueurs pour le match. Semlali, le ministre, est venu à l’hôtel en courant, il a promis que les primes seront bien là, qu’ils respecteraient les accords. on était vraiment confiants, sûrs de se qualifier… C’était le match de notre vie. En face, il y avait Gomez, Futre, Bento, Pacheco. Ce qu’a fait Khaïri, c’est à l’image de l’équipe. La réussite totale, la confiance. Ce n’était pas son style, cette prise de risque, mais les dieux du foot étaient avec nous. A la mi-temps, Faria nous a demandé de ne pas reculer, il nous répétait que les Portugais étaient abattus, dépassés. On est sortis après le match, la fiesta, mais à une heure du matin, on était tous àl’hôtel. Il y avait l’Allemagne qui nous attendait.

Maroc/ Allemagne (0/1)

J’ai joué du côté de Briegel, il était impressionnant. On montait et on descendait ensemble sur ce côté du terrain. Je le sentais très mal, sa poitrine sifflait, il souffrait, on jouait à midi. Je me suis dit qu’il n’allait pas être dangereux. On a vite compris qu’ils voulaient nous attendre, jouer en contre, alors on a utilisé cette arme contre eux. On les a attendus nous aussi. Zaki a été héroïque dans ce match. Puis il y a eu ce coup franc, ce mur pas bien fait…

Dans les vestiaires, c’était la déception, la fierté est venue plus tard. Ils étaient prenables, physiquement mal, on pensait que si on les avait traînés en prolongations, on serait passés. On avait une circulation de balle exceptionnelle, tout était fluide chez nous. Mais on ne pensait vraiment pas qu’on en parlerait encore aujourd’hui. Après le match, le roi a appelé Faria, et il a aussi demandé à me parler. J’avais fait un gros match, il m’a dit : « Tu étais un lion ». Je lui ai répondu que justement c’est mon signe. Il avait l’habitude de nous parler. Juste avant la finale des Jeux Méditerranéens, il nous avait invités au palais de Skhirate et il nous avait expliqué que les Turcs jouaient comme ils faisaient la guerre. Il fallait passer leurs lignes avec de petites passes et des accélérations. C’est ce qu’on a fait.

Le retour

Après ce match, on est restés sur place. Il a fallu attendre le 9juillet pour rentrer au pays, pour arriver avec la fête de la jeunesse, il restait trois semaines. Après la Coupe du Monde, on a passé quelques jours à New York, dans un super-hôtel. L’ambassadeur nous a donné 5000 dollars chacun, sur instructions du roi. Tout le monde s’est rué sur l’électronique, les télés, les magnétoscopes…En plus des courses qu’on avait faites au Mexique et qui étaient déjà livrées au Maroc, elles nous attendaient. Mais ça a été long, nos clubs nous attendaient, il y a même un journal suisse qui avait fait un article sur Aziz Bouderbala et moi sous forme d’avis de recherche, ils avaient déjà repris les entraînements. Puis le 9 juillet est arrivé et on a fait le fameux tour d’honneur avec SaïdAouita et Nawal Moutawakil, sur le char avec le grand ballon…

L’équipe

On était tous professionnels dans notre tête, ceux qui étaient déjà partis comme moi et les autres aussi. On avait une énorme soif de gagner. Il y avait la pression de la rue, des familles, des voisins, ils nous attendaient chez nous quand on était mauvais. On venait de milieux modestes et on voulait laisser notre nom. Pour ma part, j’ai toujours voulu aller plus loin, imiter mes idoles, Faras et Petchou, ou Platini aussi, pour les coups francs. Quand je jouais au Raja, on s’entraînait entre midi et deux heures, le reste du temps je bossais au CIH. Ça ne me suffisait pas, alors j’y retournais le soir. On était tous comme ça. Et il y avait Faria, un homme malin, un pédagogue. Pas le genre à entrer dans ta chambre pour voir ce que tu fais ou à te faire suivre le soir. Il nous responsabilisait. C’était unepériode ou on était plus qu’une famille….