Zakaria Boualem chez le médecin

Par Réda Allali

Zakaria Boualem vous souhaite la bienvenue. Au moment où il s’adresse à vous, il est dans la salle d’attente d’un noble médecin de notre paisible contrée. Il a été frappé par le froid, il a horreur de ça. Il vit ça comme une humiliation personnelle, cette grippe. C’est qu’il pense que le froid, chez nous, est victime d’une injuste cabale qui l’accuse de tout et du reste. Il a des collègues qui accusent le froid de leur bloquer le dos, de leur donner mal au ventre, et même de quelques infections que la morale réprouve. Ils s’abstiennent en général de mettre en cause leur poids, leur alimentation ou leurs habitudes sexuelles, tout est à cause du froid, toujours. Zakaria Boualem hait ces chauffeurs de taxi qui, en plein mois d’août ramadanien, ferment hermétiquement leurs quatre fenêtres et lui expliquent, en s’approchant dangereusement de son visage, que « lberd khatir ». Il se demande comment font les Suédois pour survivre à des températures largement inférieures aux nôtres. S’ils avaient été frappés par la même peur du froid que nous, ils auraient creusé des galeries pour se terrer comme des taupes. Au lieu de ça, ils se jettent dans l’eau froide après un sauna alors que nous ressemblons à des esquimaux à la sortie d’un hammam en plein été. Globalement, ils n’ont pas l’air plus malades que nous, c’est étrange.

Mais là, aujourd’hui, Zakaria Boualem est vraiment malade, et il attend son tour chez le médecin en grognant. Pas étonnant qu’il n’ait pas grand-chose à vous raconter cette semaine. Il aurait bien voulu vous parler de l’Ukraine, mais il n’a rien compris du tout. Comme pour une série dont il aurait loupé les premiers épisodes, il n’a jamais réussi à reprendre le fil de l’intrigue. Par ailleurs, même s’il avait compris quelque chose, il est fort peu probable qu’il ait pu avoir une opinion sur ce qu’il se passe au pays de Shevshenko. Il y a tout de même des limites à l’audace. Ou il aurait pu vous parler de l’ignoble attaque contre notre paisible contrée. Un diplomate français nous aurait qualifiés de « maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n’est pas particulièrement amoureux mais qu’on doit défendre ». Ça aussi, Zakaria Boualem le prend mal, personnellement, surtout dans le côté sexuel du truc. Il déteste qu’un Français se foute de sa gueule. Il peut dire pire, lui, mais pas un Français. En même temps, comme il manque un peu d’arguments pour contrer ces propos, il préfère ne pas en parler, ça risque de dégénérer.

Il aurait pu ironiser sur le quatrième mandat de notre paisible voisin. Mais le peu qu’il lui reste de lucidité l’a convaincu que c’était une mauvaise idée. Il suffit de se souvenir que nous produisons suffisamment d’absurde chez nous pour éviter le luxe de donner des leçons de rationalité à nos voisins. Il aurait pu vous parler de hooliganisme, puisqu’un troupeau d’animaux supporters des FAR ont agressé d’autres supporters du MAS. Agression est un euphémisme, notez-le bien. Il pourrait vous en parler, oui, mais il lui semble que c’est inutile. Parce que ceux qui veulent comprendre ont déjà compris et que les autres n’ont aucune solution. Répétons-le : notre police est là pour protéger le système et, accessoirement, s’il lui reste du temps, arrondir ses fins de mois. Le jour où les hooligans seront une menace pour le pouvoir, on leur allouera les mêmes ressources sécuritaires que celles dont bénéficient les égarés qui grognent un peu trop sur leur situation et ils disparaîtront en deux mois. Tant que des miséreux agressent d’autres miséreux, on laissera faire, et merci. Il ne parlera donc pas de hooliganisme, ni de notre ancienne ministre de la Santé, que Dieu lui vienne en aide, ni du rapport de la Cour des comptes. Il va vous donner la seule information valable sur cette page : Bruce Springsteen vient de sortir un album où se cache une pépite, elle s’appelle The Ghost of Tom Joad, reprise avec Tom Morello à la guitare, allez écouter ça, le reste ne vaut rien, et merci.