C’est parti pour les banques halal

Finance. N’attendant plus que l’approbation du parlement, l’entrée en activité des premières banques islamiques est proche. Que dit la nouvelle loi ? Comment les banques classiques s’y préparent-elles ? Le point.

Après plusieurs années d’hésitation, la finance islamique franchit une étape décisive. Le 16 janvier dernier, le Conseil de gouvernement a validé la loi 103-12 relative aux établissements de crédit et organismes assimilés. Une loi qui, depuis trois ans, suscite des questions sur l’importance qu’elle accordera aux banques participatives. Pour Belkacem Boutayeb, expert et consultant international en finances et banques islamiques, le résultat est en deçà des attentes. « Le traitement accordé à la finance islamique est léger. Sur les 196 articles que compte cette loi, seuls 17 sont consacrés aux banques participatives », souligne-t-il. L’expert considère cette loi comme une « base de réflexion, perfectible à souhait ». Selon lui, il faudra avoir recours à des experts et s’imprégner d’expériences comme celles de la Malaisie, des pays du Golfe et des Anglo-saxons pour l’améliorer au fil du temps. La finalité étant d’enrichir les textes et de donner plus de marge de manœuvre aux banques participatives pour leur permettre d’élargir l’éventail des produits et services à offrir à leur clientèle. Car pour le moment, « l’œuvre des techniciens chevronnés de la cellule de supervision bancaire se veut plutôt rigide et prudentielle », affirme Boutayeb, qui a été pendant de longues années directeur à l’international du groupe saoudien Dar Al Maal Al Islami à Genève.

Enjeux de taille

La finance islamique a l’avantage de permettre aux banques une meilleure gestion des risques, puisque les pertes sont mutualisées entre les institutions de crédits et leurs clients. Elle permet également la mobilisation interne d’une épargne échappant à la banque conventionnelle. Au Maroc, cette épargne est estimée à 70 milliards de dirhams, selon Dar Assafaa, première société spécialisée en finance islamique au Maroc. Un montant qui pourrait équilibrer les caisses des banques, dont le déficit en liquidité équivaut à 53 milliards de dirhams. Les banques marocaines ont donc intérêt à s’activer. Car la concurrence ne se fera pas prier pour accéder au marché marocain, qualifié de « prometteur » par l’étude menée par l’institut américain Gallup sur la finance islamique, publiée en décembre 2013. Au total, 54% des Marocains sondés affirment préférer les services bancaires conformes à la Charia, contre 49% en Algérie, 37% au Yémen et 31% en Tunisie. Les Marocains sont donc les plus disposés à consommer des produits bancaires halal, même s’ils sont plus chers que les produits conventionnels (pour 45% des personnes interrogées).

Le test Dar Assafaa

Le potentiel est confirmé par les résultats avancés par le management de Dar Assafaa. Créée en 2010, cette filiale halal d’Attijariwafa bank compte aujourd’hui dix agences réparties à travers le royaume. Dotée au départ d’un capital de 50 millions de dirhams, Dar Assafaa a fini l’année 2013 avec un portefeuille de plusieurs milliers de clients, un encours immobilier se rapprochant du milliard de dirhams pour 1500 logements financés, un produit net brut annuel de 27 millions de dirhams et un résultat brut d’exploitation de 13 millions. Le tout avec des provisions de créances proches de zéro. Malgré ce potentiel, « le train de la finance islamique a jusqu’ici pris beaucoup de retard », fait remarquer Belkacem Boutayeb. A l’heure actuelle, il existe  de par le monde 600  institutions financières conformes aux normes régissant la finance islamique, réparties sur 75 pays. Au Maroc, selon l’étude Gallup, seul 1% de la population consomme des produits islamiques. Même si certains observateurs pensent que cela est dû au faible taux de bancarisation du pays, d’autres estiment que l’absence d’une réglementation adéquate et le manque de concurrence empêchent l’émergence d’offres attractives. C’est d’ailleurs l’argument avancé par plusieurs banques de la place pour justifier leur hésitation. Quoi qu’il en soit, les premières banques islamiques marocaines feront bientôt leurs premiers pas face à la concurrence concertée et orchestrée des banques conventionnelles. A cette concurrence s’ajoutera celle des banques islamiques d’autres pays, notamment du Golfe, qui ambitionnent de s’implanter au Maroc. Et elles sont nombreuses.

On anticipe la vague

La Qatari international islamic bank a été parmi les premières institutions à manifester son intérêt pour le Maroc. Sa demande d’agrément remonte à deux ans déjà.  Elle a été suivie par Al Baraka Bank du Bahreïn, la Kuwait Investment Bank et plusieurs autres institutions saoudiennes. Au total, « plus de 15 demandes d’agrément ont été déposées au secrétariat du wali de Bank Al-Maghrib », confie ce haut cadre du ministère des Finances. Mieux, des banques de la place auraient déjà verrouillé leurs études de faisabilité. Leurs produits islamiques seraient déjà nommés, leurs tarifs arrêtés et conditions fixées. Les banques françaises seront également de la partie. Plutôt que d’installer des banques islamiques, elles opteront pour les « islamic windows », des fenêtres islamiques. Un positionnement qu’elles ont déjà testé à Bahreïn et qu’elles comptent dupliquer au royaume chérifien. Autre acteur qui pourrait jouer un rôle majeur, la Banque Postale, que Belkacem Boutayeb verrait bien se transformer en établissement halal. « Ce serait un pas courageux et intéressant. Le Maroc ferait un grand saut qualitatif en transformant cette institution en banque islamique ». La concurrence sera donc rude, mais très régulée, soutient Bentayeb : « Des discussions sont en cours pour la création d’une institution globale en charge de réguler ce marché. Elle permettrait à chacun des institutionnels marocains ou étrangers d’avoir sa part du gâteau ».  

Contrôle. Ces ouléma banquiers

D’après la nouvelle loi bancaire, les banques participatives seront sous le contrôle moral du Conseil supérieur des ouléma. Ce dernier devra statuer sur la conformité des opérations bancaires et produits proposés par les banques participatives avec les normes régissant la finance islamique. « Le Conseil supérieur des ouléma dispose-t-il des compétences pour statuer ou fera-t-il appel à des consultants externes ? », se demande Belkacem Boutayeb, expert en finances islamiques.
Autre nouveauté, les banques halal auront la possibilité de prendre des participations dans les entreprises existantes ou à créer, dans le cadre des financements en « Modaraba » et en « Mucharaka ».
Des investissements qui doivent encore une fois être conformes aux règles en vigueur, et donc validés au préalable par le Conseil des ouléma. « Je ne sais pas comment des ouléma pourront étudier des dossiers d’investissements. On devra connaître d’abord quels sont les critères pour décider si un investissement est halal ou pas », nuance un banquier.

Le potentiel de l’épargne halal est estimé à 70 milliards de dirhams, selon Dar Assafaa

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