Reportage. Le sort des employés domestiques au Maroc

Le Maroc est incité à concrétiser son projet de réglementation du travail domestique, afin de renforcer en particulier la lutte contre le fléau des « petites bonnes », récemment mis en lumière par le « procès Fatym », du nom d’une adolescente décédée des suites de graves sévices.

Le mois dernier, à Agadir, l’employeuse de cette domestique de 14 ans, morte en mars 2013 de brûlures aux mains et au visage, a été condamnée à 20 ans de prison. Cette affaire a été perçue comme un symbole du calvaire parfois vécu par les dizaines de milliers de « petites bonnes » marocaines, selon des ONG.

Dans un pays où aucune loi ne régit le travail des domestiques –majeurs ou mineurs–, le Parlement compte justement à son agenda un projet de loi du gouvernement visant à réglementer le secteur.
Fruit d’un travail de plusieurs années, il prévoit d’instaurer par contrat de travail un salaire minimum, un jour de repos hebdomadaire, des congés annuels ou encore des sanctions financières envers les employeurs -jusqu’à 5.000 dirhams (450 euros)- en cas d’infraction. Selon le texte, ce salaire ne devra pas être inférieur à 50% du salaire minimum, soit une centaine d’euros par mois.

Bouclé en juin dernier, ce projet « a été visé par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH, officiel) et nous sommes complètement ouverts à toutes les propositions » du Parlement, plaide auprès de l’AFP le ministre de l’Emploi, Abdesslam Seddiki. Car, en l’état, le texte reste l’objet de critiques.

Fin 2013, Human Rights Watch (HRW) a ainsi exhorté les parlementaires marocains à le « réviser« , évoquant « une opportunité unique pour mettre fin à l’exploitation » des domestiques. « Le Maroc peut devenir le premier pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à ratifier » le récent traité de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui définit de manière inédite « des normes minimales » pour l’emploi domestique, a argué Tamara Alrifai, responsable de HRW, dans une lettre à M. Seddiki.

« La place d’une fille de cet âge est à l’école »

Interrogée par l’AFP, la députée du Parti Authenticité et modernité (PAM, opposition) et vice-présidente de la chambre des Représentants, Khadija Rouissi, fustige pour sa part l’instauration d’un salaire minimum « inférieur au Smic, sous prétexte que cela inciterait les employeurs à déclarer leur personnel« . Mais elle s’inquiète surtout de la possibilité offerte par le texte de faire travailler des jeunes de 15 à 18 ans, à la faveur d’une « autorisation du tuteur« . « L’urgence est d’interdire le travail des mineurs. La place d’une fille de cet âge est à l’école« , avance-t-elle. « La ligne rouge, c’est la dignité humaine« , dit Mme Rouissi, mettant en avant les acquis de la Constitution adoptée en 2011, durant le Printemps arabe.

Son groupe a récemment déposé deux propositions de loi au Parlement, qui prévoient entre autres deux ans de prison pour l’emploi d’un mineur. « Nous en ferons même une 3e si le projet de loi du gouvernement sur le travail domestique tarde à venir« , s’agace-t-elle.En guise de réponse, le ministre de l’Emploi évoque les « grands progrès » déjà réalisés par le Maroc, où le nombre de domestiques mineures est passé de « 600.000 à moins de 100.000 » en quelques années. « Ça ne veut pas dire qu’on est tranquille. Nous allons faire le maximum pour lutter contre ce phénomène. Ce projet (de loi) n’est qu’un début« , poursuit-il. « En l’absence d’un cadre légal, clair et applicable« , « l’action de l’Etat est réduite à des procès contre les rares exploiteurs qui se laissent prendre pour maltraitance ou homicide« , plaide de son côté le « Collectif pour l’éradication du travail des +petites bonnes », partie civile le mois dernier à Agadir.

Voisine de l’employeuse de Fatym et témoin clé du procès, Jamila avait quant à elle tenu à lancer un cri d’alarme avant même l’énoncé du verdict. « Nous demandons à toutes les mères qui ont besoin d’argent de ne pas envoyer leurs enfants travailler dans des foyers. Le cas de Fatym doit être un exemple pour toutes les familles marocaines« , a-t-elle clamé.

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