Zakaria Boualem et les nouveaux projets culturels de Casablanca

Par Réda Allali

Mes bons amis, l’heure est à la joie. Il faut festoyer avec enthousiasme. Car pendant que vous lisez cette page qui ne sert à rien, les gens travaillent, ils produisent, participent à la construction du Maroc moderne. Oui, Zakaria Boualem ne tient plus en place depuis qu’il est question d’allouer « 10 milliards de dirhams pour faire de Casablanca une capitale culturelle ». Répétons-le : il faut festoyer avec enthousiasme, célébrer cette annonce, ripailler en sacrifiant quelques animaux, c’est magnifique. Il faut le faire rapidement, car si vous attendez pour cela la réalisation concrète de ce beau programme, vous prenez le risque de festoyer depuis votre tombe. On nous annonce, tenez-vous bien, un palais des congrès, un parc d’expositions, un centre équestre, un aquarium, un beach club, un parc, un centre culturel, et, ô prodige, cinq musées : un musée d’art moderne, un musée de la mer, un autre de la résistance, un musée de la mode et du design et un dernier archéologique.

Paris et New York peuvent trembler, nous sommes lancés sur la voie de la culture à grande vitesse, nos petits-enfants déborderont d’activités, il faut juste tenir quelques années pour en profiter. Mais Zakaria Boualem s’inquiète : n’est-ce pas un peu trop, d’un seul coup ? Ne risquons-nous pas l’indigestion ? Considérons par exemple la situation culturelle d’un habitant de Zenata, délaissé pendant quelques siècles, quelle pourra être sa réaction à la vue d’un parc des expositions flambant neuf soudain érigé en son honneur ? La réhabilitation du zoo de Aïn Sebaâ, que peut-on en penser ? Le jour où l’on donnera à manger au lion qui dépérit, ne sera-t-il pas devenu végétarien entre-temps ? En d’autres termes, cette soudaine sollicitude n’est-elle pas un peu louche ? Comment peut-on faire rien, puis rien, ensuite moins que rien, et soudain tout ? D’où vient cette miraculeuse manne financière ? Autrement dit, si Zakaria Boualem salue la grandeur des ambitions, la noblesse du concept, il se pose des questions légitimes sur la méthode. Ne serait-il pas possible, par exemple, de donner à manger au lion tout de suite ? A Zenata, où l’activité culturelle la  plus courue consiste à compter les trous dans la chaussée, est-ce qu’on ne pourrait pas tout de suite ouvrir une maison de jeunes ? Elle doit même exister, c’est fort possible, elle doit être nue comme la mort, fermée aux jeunes, c’est juste une supposition, pour servir la démonstration, une vue de l’esprit en quelque sorte. Recruter deux ou trois profs de théâtre ou de hip-hop, de ping-pong ou de guitare, et dès demain matin, l’ouvrir aux jeunes du quartier ? Et puis, en parallèle, construire ce fabuleux parc des expositions, tranquille, et si on ne peut pas le voir de notre vivant, eh bien on aura eu le plaisir de l’imaginer et de l’attendre. C’est juste une opinion, hein, histoire de participer au débat, pas de quoi s’énerver si vous pensez que Zakaria Boualem est à côté de la plaque.

Plutôt que de construire des stades de 40 000 places qui servent au foot et à l’athlétisme, qui seront vides 360 jours par an et qui ne verront jamais les pointes d’un coureur, en faire de plus petits, juste pour le foot, dans plus de villes. C’est philosophique, en fait. Faire tout de suite plein de petites choses qui sont utilisées à fond, avec les budgets pour les faire fonctionner, au lieu de choses grandioses, rares, pour dans très longtemps. C’est comme ça que Zakaria Boualem réfléchit, mais il n’est pas spécialiste, et il n’a jamais eu le plaisir d’avoir 10 milliards de dirhams à dépenser.

Impossible de terminer cette page guillerette sans un hommage à notre glorieux mountakhab qui, après avoir mené 3-0, a réussi l’invraisemblable exploit de perdre 4-3. C’est donc officiel : nous avons expérimenté toutes les formes de défaites possibles, aucun pare-choc émotionnel ne peut résister à la cruauté de ce scénario. Nous sommes maudits, Zakaria Boualem mène l’enquête, il croit savoir pourquoi. Et merci.