Ta vie en l'air. Campagne de sensibilisation

Par Fatym Layachi

Comment tu arrives toujours à te faire embarquer dans des plans douteux que tu finis par regretter ? Et le pire, c’est que tu fais ça avec le sourire ! C’est que tu avais l’air enjoué, quand tu as dit oui à Zee à propos de ce week-end à la campagne. C’est que toi, naïvement, tu y croyais à ces deux jours de break, loin de tout, pour déconnecter un peu. Ah oui, tu en avais vraiment besoin. Les fêtes c’était crevant, ensuite il a fallu reprendre le boulot et puis il y a eu les soldes. Ton dernier massage remonte à au moins trois semaines. Et ce week-end, c’était aussi l’occasion pour (enfin) mettre tes bottes de pluie ; les même que celles de Kate Moss qui patauge dans la gadoue avec chic. Mais tu n’es pas Kate Moss. Et surtout, la baraque saugrenue où tu as atterri n’a rien de british.

Finalement, la campagne n’est pas un lieu, c’est un état d’esprit. Et toi tu l’as pas. Ou alors dans une superbe bâtisse, avec beau feu de cheminée et plaid en cachemire. Mais dans cette baraque mal chauffée avec des apprentis traders mais crétins confirmés, tu as du mal à voir le potentiel plaisir et détente. Tu serais tellement mieux chez toi, à regarder The Voice. Tu serais dans un jogging dégueu, mais au moins tu serais à l’aise. Tu ne ferais pas semblant.

Tu rêvais de ce repas qui durerait des heures à manger de bons produits du terroir. Au lieu de ça, t’as mal mangé et en compagnie de relous dont l’exil campagnard n’a en fait pour seul but que de se bourrer la gueule ailleurs qu’en milieu urbain. Parce que le retour à la vie primitive, ça veut aussi dire le retour des pires instincts de chacun. Et ces banquiers bon teint arrivent à faire illusion les cheveux plaqués avec un pot de gel dans un lounge à la lumière tamisée qui donne bonne mine, mais à l’état naturel, ça frisote, le teint est blafard et c’est assez laid. Ils ont beau avoir quasiment bac +12, le romantisme pour eux c’est la corvée des fleurs pour la Saint Valentin. Hugo ? Musset ? Vaguement entendu parler. Une avenue parisienne au mieux. Et bien entendu, ces hommes modernes estiment que c’est aux femmes de faire la cuisine. Or tu ne sais pas faire la cuisine.

Et l’autre débile qui se croyait héroïque en tentant d’allumer un feu de cheminée mais qui a failli y perdre ses empreintes digitales et tous nous intoxiquer au monoxyde de carbone. A force de vivre dans un appart où tous les services sont payables, les hommes ne maîtrisent plus les gestes basiques de survie.

Zee doit être maso pour avoir des potes aussi vides. Elle appelle ça de l’éclectisme et se dit hyper-fière de sa capacité d’adaptation. Ça change, elle dit. Ce qui change surtout, c’est qu’« à la campagne », tu n’as rien pour t’échapper. Alors t’as vite été te coucher, les laissant gémir et rire trop fort pour que cela soit sincère. Le petit-déjeuner sera le seul moment à peu près healthy. Des œufs frais « de la ferme », des msemmen tellement bons que tu en oublies l’apport calorique, et du miel bio. Certes, le tout sera dégusté au milieu des cadavres de bouteilles et dans l’odeur du tabac froid de ces cendriers que personne n’a pensé à vider. Mais bon, on ne se refait pas, et manger bio c’est déjà ça.

Bilan du week-end : tu as bien dormi. Tu aurais été tout aussi bien chez toi, cela dit. Ce n’était vraiment pas génial, la campagne. Mais tu as pris des photos suffisamment jolies pour générer du like et quelques jalousies sur les réseaux sociaux. Ta vie ne vaut sans doute pas grand-chose mais elle fait parler. Et toi, tu n’existes qu’à proportion de ce qui se dit de toi.