Décalages. L’effet domino syrien

Par Souleïman Bencheikh

La conférence de paix dite Genève 2 s’est ouverte le 22 janvier en Suisse. Réunissant l’opposition syrienne et les émissaires de Bachar Al Assad, les négociations modérées par un représentant de l’ONU avancent très laborieusement, tandis que, sur le terrain, la situation militaire a depuis longtemps tourné à l’avantage du régime. Homs, considérée comme le bastion de la révolution, est aujourd’hui assiégée et meurt à petit feu. Les échos qui nous en parviennent font état d’une situation humanitaire dramatique. Dans le nord du pays, Alep est bombardée à coups de barils de TNT. Un millier de personnes y seraient mortes depuis un mois et demi.

La résistance inattendue de Bachar Al Assad, la confusion dans les rangs des rebelles entre révolutionnaires et jihadistes et, in fine, l’enlisement de la révolution et l’inversement du rapport de force militaire ont poussé la plupart des pays à revoir leurs positions. Dans l’euphorie du Printemps arabe, certains avaient cru que la vague révolutionnaire serait partout irrépressible, y compris en Syrie. D’autres avaient misé sur une récupération islamiste qu’ils avaient bien l’intention de contrôler. Aucun n’était pourtant en mesure de prédire les destins si divers des soulèvements de 2011.

Tunisie, Egypte, Libye, Syrie… chacune de ces révolutions, réussie ou avortée, est un cas d’école. Mais c’est dans le cas syrien que la survie inespérée du régime a obligé nombre de pays à changer leur fusil d’épaule. Bientôt trois ans après les premières manifestations, les diplomaties mondiales tentent, vaille que vaille, de s’adapter à la nouvelle donne d’un Bachar Al Assad ressuscité.

Après avoir été accusée d’armer des groupes jihadistes rebelles en Syrie, la Turquie opère ces derniers temps un rapprochement ostensible avec l’Iran qui, lui, a toujours soutenu le régime de Damas. Les puissances occidentales, quant à elles, rechignent à intervenir en Syrie et se satisferaient finalement d’un statu quo. La Russie, de son côté, se frotte les mains d’avoir si activement soutenu Bachar Al Assad. Quant aux pays maghrébins, chacun joue sa partition en solo. La Tunisie, qui avait été l’un des premiers pays à rompre ses relations avec Damas, tente maintenant de réparer les pots cassés et d’obtenir l’amnistie pour les prisonniers jihadistes tunisiens en Syrie.  L’Algérie, évidemment, n’a rien changé à sa ligne de conduite, puisqu’elle a toujours apporté un soutien ostensible à Damas et qu’elle se voit aujourd’hui confortée dans son choix. Quant au Maroc, de la même manière que pour la Tunisie, la victoire probable de Bachar Al Assad implique peut-être pour lui l’instauration d’une nouvelle doctrine diplomatique.

Historiquement, la Syrie n’est pas un pays allié. Hafez Al Assad fut l’un des premiers dirigeants à soutenir le Front Polisario peu de temps après sa création. Il semblait presque logique qu’au moment du soulèvement en Syrie, le Maroc montre sa sympathie pour l’opposition en accueillant par exemple à Marrakech, en décembre 2012, la 4e conférence du groupe des Amis de la Syrie.

 

Mais le royaume subit aujourd’hui les conséquences de la guerre qui s’éternise. Comment pouvons-nous faire pour que notre image et notre diplomatie en sortent grandies et non ternies ? Certainement pas en nous chamaillant avec l’Algérie pour 77 réfugiés syriens perdus dans un no man’s land qu’on nomme frontière. Sans doute pas en montrant nos petits muscles et en convoquant l’ambassadeur algérien alors même qu’à Homs ou Alep, des milliers de civils sont pris dans l’enfer d’une guerre que nous avons moralement soutenue, et alors même que, les yeux rivés sur Genève, le monde entier veut croire en la paix.