Trombinoscope. Juifs, Marocains et influents

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Certains vivent encore au Maroc et incarnent un pan essentiel de notre culture dans sa diversité. D’autres ont émigré sous d’autres cieux, partis s’installer en Israël ou ailleurs. Mais tous sont restés attachés à leur terre d’origine.

On célèbre souvent, d’un côté, l’action des MRE pour la valorisation du pays, et de l’autre, la présence juive au Maroc, preuve d’une richesse culturelle et gage de tolérance. Ces louanges cachent en filigrane une injustice : on zoome rarement sur la diaspora juive marocaine. Et pourtant, une poignée d’hommes et de femmes, marocains de naissance, juifs de confession, ont percé à l’étranger : en France, aux Etats-Unis, en Israël et ailleurs. Acteurs culturels, ils manquent rarement à ce devoir tacite, celui de rappeler à leur public qu’ils tirent une partie de leur inspiration de la terre marocaine. Hommes politiques ou de réseaux, ils jouent le rôle de go-between, inscrivent le Maroc dans la dynamique de dialogue entre Israël et la Palestine, font se rencontrer des puissants d’ici et d’ailleurs, quand ils n’activent pas de puissants lobbys pour soutenir le royaume sur la question du Sahara, ou lustrer son image de marque. Si quelques-uns sont célébrés au Maroc, beaucoup d’autres sont complètement ignorés. L’histoire compliquée, et par certains endroits douloureuse, de la communauté juive marocaine y est sûrement pour beaucoup, et le conflit israélo-palestinien n’arrange pas les choses. Pourtant, au plus haut sommet de l’Etat, on ne s’y trompe pas. Et y on est reconnaissant pour les précieux services rendus : plusieurs d’entre eux ont droit au tapis rouge lorsqu’ils débarquent au Maroc, et repartent avec un Wissam accroché au revers de la veste.  Activiste pro-palestinien, rabbin, ministre israélien va-t-en-guerre,  entrepreneur ou artiste…Galerie des juifs marocains influents.   

Marocains avant tout

Qu’ils soient rabbins, politiques ou acteurs associatifs, ils ont préféré rester au Maroc plutôt  qu’émigrer en Israël du fait d’un profond attachement à leur pays. Ils militent, dirigent la communauté juive ou l’influent, leur marocanité chevillée au corps.

Sion Assidon  Acteur de la société civile

Pro-palestinien

Son nom est entouré d’une auréole de respect. Né en 1948 à Agadir, il s’est engagé corps et âme à l’extrême gauche et en a payé le prix : en 1973, un an après avoircréé un groupe maoïste, Li nakhdoum chaâb (Au service du peuple), il est jugé et enfermé, pour ne ressortir qu’en 1984 - non sans avoir tenté de s’évader. Il participe à la création de Transparency Maroc au milieu des années 1990, ONG dont les journalistes et militants scrutent chaque rapport ou communiqué avec attention. Son sérieux lui vaut d’être élu au directoire de Transparency International en 2005. Et depuis 2010, ce militant antisioniste anime la branche marocaine de la campagne internationale BDS – pour Boycott, désinvestissment, sanctions- qui pousse à l’exercice d’une pression symbolique, financière et politique sur Israël. Ce faisant, il est à la tête de toutes les manifestations pro-palestiniennes du Maroc. L’aura dont il jouit fait de lui une source incontournable pour les médias ou chercheurs étrangers qui se penchent sur le sujet des juifs maghrébins.

 Yosef Israel  Rabbin

Le juge hébraïque

Ce natif de Tétouan, où il a vu le jour en 1950, est resté au Maroc au moment où une bonne partie des juifs émigraient en Israël. Il rejoint par la suite la France pour des études de droit et une formation de rabbin. A la fin des années 1980, il est nommé magistrat, avant de devenir le grand rabbin de Casablanca. A ce titre, il est presque de toutes les grandes cérémonies officielles qui se déroulent sous la présidence de Mohammed VI. Il est aussi le président de la chambre hébraïque de Casablanca, une des trois chambres du genre au Maroc. Doté d’une grande culture, il départage les justiciables de confession juive sur les questions liées à la famille ou à l’héritage, selon les lois du Talmud. Rabbi Yosef Israel est l’un des rares magistrats juifs salariés du ministère de la Justice.

Robert Assarraf  Historien

L’homme-passerelle

Il a été l’un des plus fidèles collaborateurs du conseiller royal Ahmed Reda Guedira dans les années 1960-1970. La carrière de ce Rbati né en 1936 connaîtra son envol en 1980 quand il est nommé à la tête de l’ONA qu’il dirigera  jusqu’en 1995. En plus d’avoir le sens des affaires, Robert Assarraf est un passionné d’histoire qui a écrit de nombreux ouvrages sur les Marocains juifs. Il a notamment publié Mohammed V et les juifs. Libéré des contraintes de son poste de patron de l’ONA, il se lance dans les médias en cofondant en 1997  l’hebdomadaire français Marianne. Il préside aussi  le conseil de surveillance de la radio de la communauté juive française Radio Shalom. Robert Assarraf travaille à préserver les liens entre le Maroc et sa diaspora juive à travers le Centre international de recherche sur les juifs du Maroc, créé en 1996. En 1999, il crée l’Union mondiale du judaïsme marocain qu’il préside toujours.

Maguy Kakon  Femme politique

Citoyenne  d’abord

Née à Marrakech en 1953, elle est issue d’une famille bourgeoise installée à Casablanca. En 2007, elle se présente aux élections législatives sous l’étiquette du Parti du centre social (PCS). Une première pour une femme marocaine de confession hébraïque et du jamais vu dans le monde arabe. Malgré les 30 000 voix qu’elle remporte,  elle n’a pas pu franchir le seuil électoral nécessaire de 6%. De cette expérience, elle a tiré un livre intitulé  Mémoires d’une campagne électorale. Elle tente à nouveau de décrocher un siège de député en se présentant aux élections législatives de 2011.  Elle affirme militer pour la défense des laissés pour compte et la mise en place  d’un système éducatif efficace. Quant à sa judaïté,  Maguy Kakon  a toujours déclaré : « Je suis d’abord citoyenne, femme et peut-être juive après ». Mère de quatre enfants, cette conseillère en immobilier, passionnée  de cuisine, est l’auteur d’un livre intitulé  La cuisine juive du Maroc de mère en fille .

Monique Elgrishi 

Fondatrice de l’agence Mosaïk

La conseillère des décideurs

Cette Casablancaise dont la famille est originaire d’Essaouira est à la tête d’une des agences les plus influentes du royaume. Mosaïk conseille les structures publiques (ministère de l’Education, Office du tourisme…), des firmes marocaines ou internationales très cotées, en plus de faire dans l’événementiel à portée internationale (Concert de la tolérance, Marrakech du rire…). Elle a l’oreille des décideurs économiques et politiques mais aussi des hommes des médias avec lesquels elle travaille en permanence. Récemment, le wali de Casablanca l’a désignée membre de la commission communication du think tank qu’il vient de créer pour revoir la gestion de la métropole. Elle travaille dans la communication depuis 33 ans, ayant débuté  « à une èpoque où on parlait de département de promotion, parrainage et publicité ». Durant sa longue carrière, elle a contribué à l’installation de plusieurs marques au Maroc, et a été une des premières à utiliser la darija dans les campagnes marketing des grandes entreprises.

 André Azoulay  Conseiller royal

L’homme du sérail

Il a commencé dans la presse en lançant, en 1963, un journal économique, Maroc Information. Après trois interpellations et moult tracas, sa publication est définitivement interdite et cet ancien membre du Parti communiste marocain n’a d’autre choix que de s’exiler. Il choisit d’intégrer Paribas où il gravit les échelons jusqu’à devenir directeur en charge de la zone MENA. Un poste qui lui permet de piloter de grandes opérations financières menées au Maroc, dont la plus célèbre est le rachat par Hassan II du groupe ONA (devenu depuis la SNI). Le roi défunt repère André Azoulay à cette occasion et lui propose dès 1986 le poste de directeur général d’une banque publique. Une proposition qu’Azoulay décline. Cinq ans plus tard, le monarque revient à la charge et lui offre cette foi-ci un poste au cabinet royal. Aux côtés de Hassan II et grâce à son carnet d’adresses bien garni, il a œuvré au rayonnement du royaume sur la scène internationale tant sur le plan économique que diplomatique. Depuis l’avènement de la nouvelle ère, sa sphère d’influence a certes rétréci, mais il reste malgré tout un homme de réseau qui a son poids. « Je ne suis ni le juif de cour ni un homme d’influence, je suis juste un militant conscient de la singularité de son pays », nous explique-t-il. Ces dernières années, il met toute son énergie dans la promotion d’un dialogue entre les cultures dont le théâtre est sa ville natale Essaouira. Une ville mythique pour les juifs marocains et dont la résurrection dans les années 1990 lui doit beaucoup ainsi qu’à sa femme, l’écrivaine Katia Brami, elle aussi originaire d’Essaouira.

Jacques Toledano

Président de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain

Un mécène très discret

C’est un homme d’affaires respecté et très écouté par ses pairs. Industriel qui a fait ses preuves dans le business, il a été membre de l’association professionnelle de textile mais aussi de la CGEM. Aujourd’hui aux commandes de la société Avis, il est le fondateur de Scalli, l’entreprise qui avait introduit la célèbre marque de chaussures Kickers. Et à travers son activité dans la filière du cuir, Toledano a fait la connaissance de Driss Jettou, ancien Premier ministre et aujourd’hui président de la Cour des comptes, avec lequel il est lié d’amitié depuis des décennies. Dans la communauté juive, Jacques Toledano est réputé pour être un mécène dévoué. Il est d’ailleurs président exécutif de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain. Une fondation qu’il avait montée avec son ami, le défunt militant Simon Lévy, et qui mène, entre autres, un travail colossal de rénovation de ces lieux de mémoire que sont les synagogues du royaume. En 2012, la réouverture de Slat Al Fassyine à Fès a eu lieu sous le haut patronage royal. Et pour la cérémonie officielle, l’envoyé spécial du roi n’était autre que le Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane.

 Boris Toledano  Président de la communauté israélite de Casablanca

Le patriarche

Il est issu d’une famille juive
installée au Maroc depuis le XVe siècle, suite à son expulsion d’Espagne. L’homme n’est plus d’une première jeunesse mais semble malgré tout s’accrocher à son fauteuil de président de la communauté juive de Casablanca, la plus importante du royaume. «Il est depuis trop longtemps aux affaires», disent de lui ses détracteurs, qui poussent vers un renouvellement des instances représentatives des juifs duMaroc. De par son statut, Boris Toledano a ses entrées dans les hautes sphères de l’Etat et se fait un point d’honneur de figurer dans toutes les cérémonies officielles, malgré ses 80 ans largement dépassés. Cet ex-industriel gère également, à Casablanca, le “Home des vieillards”, une institution qui accueille le troisième âge de la communauté juive marocaine et qui est financée par la taxe sur la nourriture casher et l’American Jewish Community.

Mardochée Devico

PDG des Conserves de Meknès

Maître confiturier

“Pour vivre heureux, vivons cachés” pourrait être sa devise. Ce juif meknassi a  une sainte horreur de la médiatisation, s’épanchant peu sur sa réussite. Pourtant, c’est à lui que l’on doit la confiture Aïcha qui a bercé l’enfance de plusieurs générations de Marocains. Mardochée Devico a racheté la conserverie Aïcha en 1962 et l’a fait prospérer. Aujourd’hui, il écoule en moyenne 10 tonnes de confiture par jour. L’entreprise familiale a connu de nombreux développements avec Nora, qui produit des jus de fruits, des olives en conserves et des fruits secs, ainsi que le lancement de projets immobiliers dans la région de Meknès. A défaut de parler de lui,  Devico a développé une stratégie marketing en associant son entreprise au Rallye Aïcha des gazelles et au Festival d’animation de Meknès.

Albert Lévy  Producteur de cinéma

Roi de la nuit rbatie

A Rabat, il  est connu pour deux choses. Tout d’abord pour avoir l’une des plus belles villas de Rabat, surplombant le Bouregreg, puis pour être le propriétaire de la mythique boîte de nuit Amnésia. Depuis les années 1980, ce club a vu défiler plusieurs générations de la jeunesse dorée rbatie, mais également des membres de la famille royale. Parmi eux, Mohammed VI, lorsqu’il était encore prince héritier. Lévy est un ami du roi et a ses entrées au palais. Diplômé en comptabilité de l’université californienne de Pepperdine, il est également un homme d’affaires averti, à la tête de plusieurs autres entreprises dans le royaume. Il est aussi producteur de cinéma. En 2008, il a financé le film Kandisha, réalisé par son ami Jérôme Oliver-Cohen.

Serge Berdugo  Responsable communautaire

Le médiateur

Avocat et homme politique, il est né à Meknès en 1938. Ministre du Tourisme de 1993 à 1995, Serge Berdugo est aussi le secrétaire général du Conseil de la communauté israélite du Maroc  et dirige le Rassemblement mondial du judaïsme marocain. Partisan de la paix au Moyen-Orient, il a servi de médiateur entre Israéliens et Palestiniens. « C’est sur la demande express de Mahmoud Abbas en 1989 à Tolède, demande renouvelée par Yasser Arafat, que des visites d’Israéliens au Maroc ont été facilitées », nous confie-t-il. Le but était de montrer à travers le cas du Maroc que  juifs et musulmans pouvaient coexister pacifiquement. Depuis 1985, Berdugo multiplie les rencontres avec les Palestiniens, dont celle tenue avec Yasser Arafat à Ramallah en 1997. En 1995, il est décoré du Wissam de Commandeur de l’ordre du trône, faisant de lui le premier juif marocain à obtenir cette haute distinction. Ambassadeur itinérant du Maroc depuis 2006, il œuvre pour que feu Mohammed V soit le premier Arabe à être reconnu comme « Juste parmi les nations » en Israël pour avoir protégé les juifs marocains pendant la Seconde guerre mondiale.

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