Ta vie en l'air. Racontons-nous des salades

Par Fatym Layachi

C’est tout de même d’une banalité affligeante de commander une salade sur une carte et d’attendre sagement qu’on te la serve à table. Et quant à rentrer chez toi pour te préparer une salade qui coûterait moins  qu’un paquet de clopes, ça ne t’a même pas traversé l’esprit. Toi tu veux déjeuner dehors et choisir tes ingrédients et aussi les condiments. Un psy s’aventurerait à y trouver un besoin régressif et enfantin de fabriquer un monde parfait. Enfin bref, tu déjeunes avec tes trois copines dans un bar à salades. Et debout devant ce comptoir plein de légumes et autres dés de fromage ou surimi, tu te sens comme un peintre qui va choisir ses couleurs. Mais surtout tu trouves ça tellement sain.

Tu te dis que manger sain c’est bien, que c’est l’avenir. Tu as donc bien pris soin de prendre la sauce à 0% de matières grasses. Celle au yaourt et fines herbes. Du coup tu aimerais bien avoir un potager. Tu as lu un super-article sur les murs végétaux à Barcelone et vu un reportage très sympa sur les  ruches en ville, alors tu as envie de faire pousser du basilic et des tomates cerises sur ton petit balcon. Du coup tu te vois organiser des apéros milanais. Quoique non : ça voudrait dire jardiner et l’impeccable de ta manucure ne tiendra pas. Donc tu ne jardineras pas. Tu achèteras de la mozzarella.

Zee a pris un panini. Tu t’es foutue de sa gueule. Un panini ça fait vintage mais pas chic, ça fait lycée. Tu lui as mangé toutes ses frites. Et t’as trouvé ça super- bon.

Lay a l’air décontenancé de constater que l’on sale encore avec du sel. En 2014 ! Elle, ça fait déjà trois mois qu’elle saupoudre ses plats de Gomasio, un mélange utilisé depuis des millénaires au Japon, plein d’oligo-éléments. Et en plus tu le trouves facilement. Il suffit de le commander dans cette épicerie fine qui vend les courgettes marinées à un prix qui ferait regretter à ta grand-mère de ne pas s’être lancée dans le commerce. Mais bon, le Japon c’est loin. Et à défaut d’être une geisha à la splendeur romanesque, Lay a les yeux rivés sur son téléphone. En picorant avec nonchalance sa salade qui n’a rien d’impérial, elle attend que le mec avec qui elle a dîné la veille la rappelle. Et Nada dit être heureuse. Elle a trouvé l’harmonie, citations d’un livre de sagesse antique à l’appui. Un comble pour une fille qui pense que le Péloponnèse est la nouvelle matière infroissable parfaite pour les robes.

Tu as fini ta salade sans bien évidemment prendre de pain, ça fait grossir. Mais ça ne t’empêchera pas de prendre un cupcake citron-vanille. Parce que le citron c’est un super-détox et en plus c’est plein d’actifs anticancérigènes.

Oui ce subtil argumentaire capillotracté est de l’hypocrisie alimentaire, mais le cupcake n’est pas qu’un simple gâteau. Son prix est inversement proportionnel au nombre de bouchées goûteuses. Mais c’est coloré. C’est hyper-mignon. C’est trendy. Il n’y a qu’à voir le goûter d’anniversaire d’un enfant dont la maman est un tant soit peu fashionista : il y aura obligatoirement  ces gourmandises parce que la maman a forcément une copine qui fait les meilleurs cupcakes du monde. Le cupcake est donc devenu à la pâtisserie ce que la jupe crayon est à la mode : un concept qui n’a rien de nouveau, ressurgi des années 1950 sans la moindre connaissance historique et sur lequel tout le monde se rue comme le dernier truc incroyable. Et toi tu trouves ça trop bien, parce que quand tu t’extasies tu ne trouves pas que c’est «très», mais « trop »  et c’est sans doute comme ça que tu finis par être si peu.