Zakaria Boualem et le Raja

Par Réda Allali

Les amis, Zakaria Boualem est glorieux. Il a pris au moins dix centimètres depuis la victoire du Raja contre les Mexicains de Monterrey. L’occasion de rappeler au passage l’abyssale différence entre la passion pour un club local et la vague sympathie qu’on peut éprouver pour une équipe européenne. Zakaria Boualem marche le torse bombé, le regard fier, il faut le répéter : il est glorieux. Il se dit qu’il doit être bon d’être espagnol ou allemand, pour goûter ce sentiment plus souvent qu’une fois par décennie… Il a regardé de près les supporters mexicains après le match, il a examiné leurs mines défaites, du genre de celle qui lui était destinée. C’est ce sentiment qu’il connaît par cœur, avec lequel il a vécu des années, ce mélange de dépression, de honte et de colère, cette envie de se passionner pour le golf tout en sachant que c’est impossible.

Oui, Zakaria Boualem était à Agadir, il se tape suffisamment de 0-0 lamentables sur des pelouses miteuses avec des équipes qui refusent de jouer pour snober un tel rendez-vous. Il est arrivé mardi et a festoyé aussitôt, de peur de devoir retourner à Casablanca dès le lendemain soir. Il s’est demandé pourquoi les bars-restaurants et autres discothèques de la ville accueillaient les supporters verts à bras ouverts, alors qu’à Casablanca un maillot du Raja vous condamne au rejet à la porte. Certains endroits huppés sont même allés jusqu’à habiller leurs serveurs de la noble tunique aux trois grosses étoiles. Là-bas, il a braillé « Va bene », le tube de l’année signé Taliani, il a fait des bisous à tout le monde, il a chanté des refrains de supporters en italien sans rien comprendre. Il a dansé avec la précipitation de celui qui sait que cela ne durera pas. Et pourtant, le lendemain, le Raja a battu ces Néo-Zélandais.

« Allo, ma douce maman, merci de me pourvoir en liquidités supplémentaires, il semblerait que notre séjour puisse se prolonger ». Tel est le formidable refrain improvisé sur place par le génie collectif des tribunes populaires. Précisons qu’en Europe, la créativité footballistique est bien plus limitée, c’est une évidence, et merci. Le Boualem a donc poursuivi les festivités trois jours, jusqu’au match contre ces Mexicains de la ville de Zorro.

 

Là, en ce samedi historique, il a pu observer la sublimation du Botoliste. Un phénomène surprenant, au cours duquel le joueur local, dopé par la présence des médias mondiaux, mis en valeur pas des caméras respectables et une pelouse en satin, excité par la possibilité d’une prime et d’un transfert, se transforme en cheval de course et cavale avec souplesse et détermination pendant 120 minutes, c’est prodigieux. Notons que la transformation inverse existe : posez Messi et Ronaldo sur le terrain lugubre et bosselé de Safi, filmés par nos héros de l’audiovisuel national et martyrisés par un arbitre qui siffle tout et vous constaterez qu’ils deviendront deux ombres de plus dans les ténèbres. Et donc, cette équipe de Botolistes sublimés est venue à bout des Mexicains et se retrouve donc en demi-finale. Elle sauve au passage une compétition promise à l’indifférence, remplit les stades (et donc les caisses de la fédération) et propulse le Boualem dans les hautes sphères de la félicité.

 

Il n’est pas question de faire le modeste. Nous avons éliminé deux continents, nous sommes dans les quatre meilleures équipes du monde, nous sommes planétaires, magnifiques, intergalactiques. Rappelez-vous, il y a 13 ans, ce même Raja participait à sa première Coupe du monde des clubs, au Brésil. Trois défaites à l’arrivée, mais 13 ans de blablabla, on était fiers… Cette fois qu’on a gagné deux matchs, la sentence est claire : vingt ans de commentaires nafida. Vous allez souffrir. Cette page est trop courte, Zakaria Boualem n’a pas le cœur à vous parler des loupés de la compétition, du scandale des billets, des exploits de nos dirigeants ou de cette cérémonie d’ouverture spectaculairement minable. L’heure n’est pas aux grognements. Festoyons, et merci.