Logement. Benabdallah ne trouve pas son standing

AIC press

Le ministre de l’Habitat propose un dispositif pour la classe moyenne qui ne séduit guère les promoteurs immobiliers. Prix, emplacements, équipements… tout est à refaire ou presque.

Depuis que le département de l’Habitat et de l’Urbanisme a été scindé en deux, Nabil Benabdallah a vu chuter drastiquement le nombre de réalisations dont il pourrait s’attribuer le mérite en fin de mandat. Pour donner de la consistance à son titre de ministre de l’Habitat, le seul grand chantier sur lequel il semble devoir miser à présent est le logement pour la classe moyenne. Et tel qu’il se présente aujourd’hui, ce dispositif a tout de l’équation insoluble. La raison est double : ce produit n’attire toujours pas les promoteurs, du moins ceux à même de garantir son décollage. Et tel qu’il devrait arriver sur le marché, il risque de ne pas correspondre aux attentes réelles de la classe moyenne.

Un geste insuffisant

Pourtant, un coup de pouce non négligeable a été donné au dispositif dans le projet de Loi de Finances 2014. Le prix au mètre carré des habitats intermédiaires a été revu à la hausse, passant de 6000 à 7200 dirhams TTC. Un geste conséquent qui, selon les calculs de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), rend enfin le dispositif viable. Mais l’effort est insuffisant jugent les opérateurs, qui veulent profiter en prime de mesures urbanistiques un peu particulières. Pour faire simple, ils réclament pour les programmes intermédiaires une hauteur et une densité de construction plus généreuses que ce qui est habituellement autorisé. La logique des promoteurs est bien évidemment de pouvoir construire le plus de logements possibles pour amortir au mieux le coût du foncier (qui peut représenter actuellement jusqu’à 60% du coût de revient des programmes dans les grandes villes) et, in fine, soutenir les marges. Si Benabdallah semble pour l’heure officiellement ménager les professionnels, en coulisses on fait savoir qu’aucun traitement de faveur n’est à l’ordre du jour. La machine n’est pas restée à l’arrêt pour autant, et en dépit de l’impassibilité du ministère, des promoteurs semblent vouloir tout de même tenter l’aventure. « Plus d’une dizaine de conventions ont été signées jusqu’à présent entre le ministère et des professionnels pour la construction de logements pour la classe moyenne », confie cette source au département de Nabil Benbdallah. Mais il y a un bémol.

Les grandes villes exclues

D’abord, seuls de petits opérateurs ont adhéré au dispositif, concède-t-on au ministère. Ceci en exceptant bien sûr l’aménageur public, Al Omrane, qui s’est joint au programme peu après sa mise en place. En effet, le groupe a annoncé son intention de construire 1 100 logements de ce genre, début 2013, répartis entre Agadir, Nador, Oujda et la ville nouvelle de Tamesna. Et, il y a quelques jours, Al Omrane a signé une convention cadre avec le ministère de l’Habitat pour la mise en œuvre et l’accompagnement de ce programme. Mais Al Omrane reste un cas particulier dans la mesure où son implication n’obéit pas à une logique économique mais vise plutôt à donner l’exemple aux opérateurs privés. Pour leur part, les moyens et grands promoteurs, influents au sein de la FNPI, restent intraitables sur les avantages urbanistiques. Le département de tutelle va donc s’appuyer sur des opérateurs dont la capacité de production dépasse rarement un immeuble par an. Pour atteindre son objectif de 100 000 logements d’ici 2016, il faudra donc repasser… L’autre hic dans ces conventions déjà signées, c’est qu’elles ne concernent que des petites et moyennes villes, comme Safi, Oujda, Kénitra ou Fès. Et cela pour une raison bien simple : sur ces marchés, les prix du mètre carré avoisinent le prix réglementaire du logement pour la classe moyenne. On reste donc très loin des bassins de demande les plus importants comme Casablanca ou Rabat. « A vrai dire, une convention a bien été signée pour des logements à Casablanca, mais au niveau de la périphérie, précisément à Had Soualem », nuance notre source au ministère. « Il y a fort à parier que si d’autres conventions tombent, elles devraient prendre forme dans les banlieues des grandes villes. Des zones où le prix du foncier permettrait la viabilité du dispositif », assure un professionnel du secteur. Difficile de convaincre un ménage qui touche un revenu de 20 000 dirhams par mois de quitter le centre-ville de Casa ou de Rabat pour la périphérie.

Trop beau pour être vrai

Les acquéreurs pourraient à la limite faire des concessions sur l’emplacement si le produit en vaut la peine. Ce qui est le cas justement, au moins sur le papier. Avec une mise minimale de 576 000 dirhams, tout acheteur de ce produit pourra acquérir un 80 m2 abritant un salon, 3 pièces équipées de placards, une cuisine, une buanderie, une salle d’eau et un WC, ainsi que l’impose le cahier des charges du ministère. Plutôt honnête par rapport à nombre de produits sur le marché ciblant les ménages intermédiaires. A cela s’ajoutent quelques touches appréciables telles que l’obligation d’un ascenseur pour tout immeuble de 5 niveaux et, qui plus est , une porte d’entrée en bois massif, le double vitrage pour les appartements en zone bruyante… Mais à trop élever la barre, le département de Benabdallah pourrait bien avoir fait du logement pour la classe moyenne un produit irréalisable. « Les exigences fixées par le ministère sont excessives par rapport au prix proposé. Certaines d’entre elles ne sont même pas imposées pour le haut standing », tonne ce promoteur. C’est le cas  par exemple de l’isolation thermique et phonique. Ou, mieux encore, de l’obligation d’équiper ces logements pour classe moyenne de chauffe-eau solaires. « Les spécialistes de ces installations sont encore très rares, et nous n’avons aucune idée sur l’estimation des coûts de ce genre d’équipements », explique un autre promoteur immobilier. « Même si on veut jouer le jeu, et en supposant qu’on trouve du foncier en centre-ville et pas cher, on ne pourra pas vendre ce type de logement à seulement 7200 DH le mètre carré », lance notre interlocuteur. En somme, on n’a pas fini de rêver au département de l’Habitat.  

Un dispositif maudit

L’idée d’un logement accessible pour la classe moyenne n’est pas nouvelle. Elle remonte à 2008, date à laquelle le gouvernement en place avait mis fin au dispositif incitatif pour le logement social, afin de se recentrer sur l’habitat intermédiaire. La recette concoctée à l’époque consistait à accorder des prêts avec garantie de l’Etat pour l’acquisition de logements à 800 000 dirhams. Mais la formule a fait un flop en raison du désintérêt des promoteurs pour le produit. Par la suite, les pouvoirs publics ont changé leur fusil d’épaule en misant non plus sur le financement, mais sur l’encouragement d’une offre à prix réglementé. D’où le dispositif actuel introduit dans la Loi de Finances 2013, avec un prix de 6000 DH TTC et relevé
dans le budget actuel à 7200 DH. Un accouchement laborieux donc, pour ce projet de logement destiné à la classe moyenne, mais qui est encore loin d’avoir abouti.

100 000

C’est le nombre de logements pour la classe moyenne que le ministère de l’Habitat espère voir sur le marché d’ici 2016.

 

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