Ta vie en l'air. On road to Tamo

Par Fatym Layachi

T’es là, un matin, enfin pas trop tôt non plus, faut pas déconner ! Il est 13 heures quoi ! Donc t’es là au volant de ta voiture, une paire de lunettes vissée sur le bout de ton nez pour faire semblant que tu es bien au-delà de tout ce qui passe autour. Tu écoutes une radio qui te fait croire qu’ici tout n’est que luxe, calme et volupté. Et toi tu y crois. Parce que si en plus il fallait se préoccuper de politique… La simple idée de retenir le nom des dirigeants de partis est épuisante. Et de là à se demander quel serait le programme de ces dits partis, non vraiment ! Ça donne envie de faire une sieste ou d’aller au spa. Et puis il y a tellement d’autres choses pour se remplir l’esprit. D’ailleurs tu es très en retard. Tu as rendez-vous chez la voyante dont tout le monde parle.

Et comme toute bonne voyante qui se respecte, elle a eu la lumineuse idée d’habiter dans un de ces Hay Moulay B3id dont forcément tu ne maîtrises ni la géographie, ni la logique. D’ailleurs c’est laid et un peu chaotique. Au moins c’est coloré, c’est déjà ça. Toi tu te crois dans un lounge en écoutant cette énième reprise de Sting orientalisée à coups de derbouka et autres voix féminines aussi suaves que le cocktail de bienvenue d’un hôtel en bord de mer. Au feu rouge, un gamin mendie. Tu vérifies que tes portières sont bloquées et mets la musique un peu plus fort pour être sûre de ne pas entendre les supplications du mioche. Tu t’agrippes à ton téléphone comme à une balise de détresse en maudissant les feux rouges qui durent trop longtemps et tu en profites pour souhaiter un joyeux anniversaire à trois de tes amis Facebook. Le feu passe enfin au vert.

Tu es un peu perdue dans ce quartier que tu trouves presque exotique tellement il ne ressemble pas à ton quotidien. Une pensée fugace te traverse l’esprit : au prix où elle fait payer la consultation, cette voyante dont tout le monde parle pourrait avoir la décence de ne pas habiter si loin.  Quoique ça fasse un peu partie de l’aventure… Mais là tu commences à baliser un peu. Tu ne trouves absolument pas la pâtisserie qui fait l’angle avant le rond-point ou il y a la banque et où tu dois tourner. Alors tu appelles Zee pour qu’elle t’explique avec plus de précision. Mais Zee n’en sait rien. Elle doit appeler la cousine de sa belle-soeur, celle qui, grâce à Lhajja, a fini par gagner son procès qui traînait depuis 10 ans. Car oui, Lhajja débloque les situations. C’est pour ça qu’elle cartonne. C’est pour ça qu’elle va te coûter si cher. Bref, tu es perdue et en plus là tu dois attendre que Zee te rappelle. Alors tu te gares en double file. Tu fumerais bien une clope mais tu n’as pas très envie d’ouvrir les fenêtres. On ne sait jamais, les agressions tout ça… Et puis tu te dis qu’une fille qui fume, ils doivent pas avoir l’habitude dans ce genre de quartier. Alors tu te concentres sur cette émission qui te parle de l’influence de l’artisanat marocain dans le design de ce sublime hôtel new-yorkais.

Et soudain tu deviens patriote et tu regardes cette agitation sur le boulevard pouilleux avec tendresse. Tu te dis que malgré tout on a un pays magnifique et tout et tout. Tu es à 4 minutes de l’émotion. Heureusement Zee te rappelle. Elle t’explique. Tu finis par trouver. Tu te gares devant cette barre d’immeubles. Le gardien t’ouvre la portière. Il a compris que tu allais chez Lhajja Tamo. Et que tu reviendras souvent. Parce que des blocages, même si tu n’en as pas, tu pourrais les inventer, ça occupe.