Kamal Kassar sur la piste des disques

Par Meryem Saadi

Le Libanais Kamal Kassar, président de la Fondation Amar, est actuellement à la tête de la plus grande collection de musique arabe au monde. Nous l’avons rencontré lors de son récent passage à Casablanca.

“Avec ses fonds personnels, Kamal Kassar a fait le travail des ministères de la Culture de plusieurs pays du Moyen-Orient”, nous lance Farid Merabet, l’un des représentants de la Fondation Amar (Fondation for arab music archiving and research), basée à Beyrouth. Quelques minutes plus tard, Kamal Kassar, actuellement en visite à Casablanca, nous rejoint au bar lounge du Sofitel. La poignée de main est chaleureuse et l’homme commence très vite à parler de sa fondation, un sujet sur lequel il est intarissable. “Nous sommes actuellement en train de travailler sur un coffret qui réunira les morceaux d’une trentaine de grands artistes arabes du début du XXème siècle occultés par l’histoire”, dévoile-t-il avec enthousiasme. Des titres issus de son impressionnante collection, qui compte plus de 7000 disques, achetés depuis les années 1970 au Liban, en Egypte, en Syrie ou encore en Tunisie.

Mélomanie aiguë

Né en 1948 à Beyrouth, Kamal Kassar a commencé très tôt à s’intéresser à la musique. Adolescent, l’un de ses principaux hobbies est d’enregistrer sur cassette des compilations de chansons pour ses amis. “Je me suis toujours considéré comme un explorateur de la musique. J’aime écouter de nouvelles choses et les faire découvrir à d’autres personnes”, explique l’homme d’affaires, aujourd’hui à la tête d’une société spécialisée dans les équipements pétroliers à Dubaï. A l’époque, il écoute aussi bien de la musique arabe classique que du rock ou du reggae. “Je possède d’ailleurs également une collection de vinyles de Bob Marley ou encore Led Zeppelin”, nous confie-t-il. En parallèle à ses études de droit, le jeune homme étudie la musique et voyage dans les pays voisins du Liban, pour découvrir d’autres artistes ou genres musicaux. Une passion qui lui permet d’amasser un nombre important de disques chez lui. La période musicale qui le fascine le plus ? Celle de la Nahda, la renaissance culturelle arabe, partie du Caire en 1903 et qui a duré jusqu’en 1930. Quand il évoque cette période, ses yeux se mettent à briller : “C’était une véritable révolution culturelle, un âge d’or. L’empire ottoman faiblissait et l’Egypte se voyait pousser des ailes d’autonomie. Le régent de l’époque a encouragé la poésie, la musique, l’architecture, ce qui a donné naissance à une nouvelle forme de création”, explique-t-il.

Et la fondation fut

C’est d’ailleurs la passion de Kamal Kassar pour la musique arabe classique qui va donner naissance à la Fondation Amar. En 2007, le businessman apprend d’un ami musicologue français que la plus grande collection de disques de la Nahda est sur le marché. Les héritiers du collectionneur égyptien Abdel Aziz Al-Anani souhaitent la mettre en vente. Parmi les acheteurs potentiels, l’Opéra du Caire et la Radio nationale israélienne. “J’ai appris plus tard que les héritiers avaient accepté l’offre de la radio, mais ils ont été obligé de faire machine arrière lorsque la presse égyptienne en a eu vent, ce qui a créé une véritable polémique”, précise Kassar. Notre mélomane fait alors une proposition à la famille et, après six mois de négociations, le deal est conclu. La collection, qui réunit 2700 disques très rares, est transférée à Beyrouth. “A ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait institutionnaliser ma passion et créer une fondation qui aurait pour but de préserver et diffuser la musique arabe”, raconte-t-il. En 2009, la Fondation Amar voit le jour. Un comité constitué de musicologues et de chercheurs universitaires – venant du Liban, de France, du Canada ou des USA – est chargé de superviser les travaux. Une équipe d’ingénieurs du son est embauchée pour numériser et masteriser les disques. Un travail sans fin, puisque chaque mois voit son lot de nouvelles acquisitions. Rien que la semaine dernière, la fondation a reçu plusieurs disques de Bagdad. Et, dans les années à venir, elle aimerait également s’ouvrir aux musiques traditionnelles du Maghreb et du Golfe.

Travail de mémoire

Kamal Kassar ne s’est pas contenté d’amasser des milliers de disques et de pistes numérisées dans les locaux de sa fondation, bien au contraire. “Nous destinons certains disques à la publication. Aujourd’hui, nous en avons déjà sorti quelques-uns et plusieurs projets sont en cours. Le plus difficile est le travail de documentation autour des artistes”, assure Kassar. En effet, chacun des coffrets ou disques édités par la fondation est accompagné de livrets en arabe, en français et en anglais, présentant la carrière des artistes, leur style musical et leurs textes. Un travail de longue haleine qui mobilise chercheurs et étudiants dans les différentes universités de Beyrouth. Leur mission ? Identifier dans les archives de journaux et de revues d’époque les articles consacrés à des artistes comme Yusuf Al Manyalawi, Abd Al Hay Hilmi ou encore Fathiya Ahmed, tous nés à la fin du XIXème siècle. Mais ce n’est pas tout. Le mélomane libanais a également une autre idée en tête : “J’ai envie que les nouvelles générations se rendent compte que la musique arabe ne se réduit pas à Oum Kalthoum et Farid Al Atrach”. Le site Web de la fondation (Amar-foundation.org) propose donc une trentaine de podcasts qui permettent de découvrir les morceaux et le parcours de certains artistes moins connus du grand public. Est-ce que tout cela rapporte de l’argent à Kamal Kassar, businessman avant tout ? “Absolument pas. Pour le moment, je perds plus de sous que je n’en gagne, mais ce n’est pas grave. J’ai la chance d’exercer un métier à côté qui me permet de le faire. Le plus important pour moi, c’est de diffuser au maximum la musique arabe aux quatre coins du monde”. Mission accomplie puisque la Fondation Amar reçoit chaque semaine des commandes de disques et coffrets émanant des Etats-Unis, du Japon, d’Argentine ou encore d’Australie.

Playlist. Le top 3 de Kamal Kassar

1. Yusuf Al Manyalawi

“Pour moi, c’est l’une des plus belles voix de la Nahda”, affirme Kamal Kassar. Né en 1847 au Caire, Yusuf Al Manyalawi est l’un des premiers artistes arabes de l’histoire à être entré en studio. Vers 1905, il enregistre une trentaine d’opus, dont les meilleurs morceaux ont été réunis dans un coffret de 10 disques par la Fondation Amar en 2011. Très populaire dans sa ville d’origine, il chante pour les cercles les plus élitistes d’Egypte. En 1877, il séjourne à Istanbul, où il est en contact avec les musiciens de la cour du sultan ottoman.

2. Abd Al Hay Hilmi

“La première rock star du monde arabe”, estime Kamal Kassar. Né en 1857, ce dandy égyptien était connu pour ses caprices et ses excès. Alcoolique et drogué notoire, il était également célèbre pour son côté talentueux et passionné.  Il innove et casse le rythme des chansons de l’époque. Il meurt en 1912 à Alexandrie d’une overdose. Il a laissé derrière lui 350 titres, dont 45 ont été réunis par la fondation dans une compilation de quatre disques. 

3. Fuad Zabadi

“Pour moi, il est important que des musiciens d’aujourd’hui reprennent des morceaux de l’époque Nahda. C’est ce qu’a fait Fuad Zabadi lors d’un concert à Beyrouth”, explique Kamal Kassar. Ce chanteur marocain de 58 ans est aussi un grand passionné de musique classique arabe. Il n’hésite pas à retravailler des titres cultes de l’époque, accompagné de musiciens de tout le monde arabe. En février dernier, il s’est produit au Liban lors d’un concert dont l’enregistrement a donné naissance à l’album An Evening of Tarab in Beirut with Fuad Zabadi.