Parution. Donne-moi de tes nouvelles

L’étrange affaire du pantalon de Dassoukine est le dernier recueil de nouvelles de Fouad Laroui, publié aux éditions Julliard. Un univers surréaliste et caustique, entre l’Europe et le Maroc, servi par un style décapant et une verve à toute épreuve.

 

Panique à bord. Dassoukine est un délégué marocain fraîchement débarqué à Bruxelles pour obtenir du blé bon marché de l’Europe et qui se fait voler son pantalon à l’hôtel, la veille de sa réunion avec la Commission européenne. Comment aller plaider la cause du Maroc en caleçon ? Tout est fermé à cette heure matinale et il atterrit chez le fripier où le seul pantalon à sa taille est “un pantalon de golf, l’œuvre d’un tailleur fou, le harnachement d’un clown”, un vêtement aux couleurs fanées, “du jaune, du caca d’oie, du vert évanescent, de la terre d’ombre brûlée, des losanges rouges en surimpression”, avec lequel il va se présenter devant le comité, qui aura finalement pitié de lui et lui donnera le blé gratuitement, au titre de l’aide aux pays du Tiers-Monde.

 

 

Humour caustique

 

Ainsi commence le dernier recueil de nouvelles de Fouad Laroui, récemment publié aux éditions Julliard. Une série de neuf histoires rocambolesques toutes plus insolites les unes que les autres, au rythme changeant et aux personnages attachants, fidèle à la verve et l’humour caustique de Méfiez-vous des parachutistes (Editions Julliard, 1999), avec des anti-héros tombés du ciel ou croisés dans la rue, mis en scène dans des situations burlesques et à travers des dialogues kafkaïens, les uns à la recherche de leur identité, les autres en quête de sens, d’amour ou de répit.

 

Dans un style virevoltant et lunatique, chaque nouvelle suit son propre tempo, permettant à Fouad Laroui de faire la démonstration de son talent de narrateur aux multiples tours dans sa poche, entre envolées lyriques, philosophie profonde et langage parlé. Ainsi, Dislocation revient avec gravité sur la condition de l’émigré : “Que serait, se demanda-t-il, un monde où tout serait étranger?”, tout en étant écrite de manière à ce que le même paragraphe soit repris en boucle jusqu’à sa dernière version, qui livre enfin l’histoire en entier. Tandis que Ce qui ne s’est pas dit à Bruxelles raconte avec sensibilité et pudeur la tentative de séparation avortée d’un couple mixte, elle professeure de littérature parisienne et lui notable néerlandais, qui se retrouvent à Bruxelles, “drôle d’endroit pour une rencontre”, pour mettre fin à leur relation. Enfin, la dernière, intitulée La nuit d’avant, dresse le portrait sans concession d’une démocratie impossible dans la société patriarcale : “Père… et ma liberté ?”

 

Si la plupart des nouvelles se passent en Europe, Fouad Laroui n’oublie jamais le Maroc, toujours présent entre les lignes, et chaque texte est un message pour dire les paradoxes qui bordent les deux rives, dans un face-à-face souvent décalé où les personnages se parlent sans se comprendre et vivent en désharmonie avec humour, parfois avec tendresse et toujours avec un fin cynisme, caché derrière les traits exagérés et les circonstances cocasses décrites par l’auteur.

 

L’étrange affaire du pantalon de Dassoukine est le cinquième recueil de Fouad Laroui, en parallèle avec plusieurs romans déjà à son actif, des essais, de la poésie, des pièces de théâtre et des chroniques. “J’écris mes nouvelles au fur et à mesure, à côté de mes autres travaux. Quand j’ai une idée qui me semble valable, je la creuse puis je la gare quelque part et je me remets à l’écriture du roman en cours”, explique l’auteur. Une forme de pause dans une carrière florissante d’écrivain, de professeur et d’historien qui ne s’accorde jamais de pause : “En fait, je suis très souvent seul et quand je suis seul, je ne sais faire qu’une chose : travailler, c’est-à-dire lire ou écrire. J’aimerais bien être comme ces héros d’Albert Cossery qui sont capables de passer une journée allongés sur un seddari à ne strictement rien faire. Mais c’est au-dessus de mes forces.” Tant mieux pour nous.

 

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