Droits. Ce que veulent les femmes

Six millions de Marocaines sont victimes de violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles. à la veille du 8 mars, journée mondiale de la femme, les associations féministes réclament des mesures pour remédier à cette situation au plus vite. Le point.

“Les chiffres sont alarmants, l’Etat doit prendre ses responsabilités et mettre en place d’urgence une loi pour protéger ses citoyennes. Rien qu’en 2010, six millions de femmes marocaines ont été victimes de violences”. Cette déclaration a été prononcée par Amina Bouayach, présidente de l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH). Comme elle, plusieurs militants des droits de l’Homme sont choqués par les chiffres de l’enquête du Haut commissariat au plan (HCP) sur la prévalence de la violence à l’égard des Marocaines. L’étude révèle, entre autres, que 4,6 millions de Marocaines ont été victimes de violences psychologiques, 3 millions ont connu des atteintes à leurs libertés individuelles, 1,4 million ont été sujettes à des agressions physiques, et 827 000 à des agressions sexuelles. Des chiffres qui donnent froid dans le dos. Les différentes associations féministes ne s’y trompent pas et tirent, une fois de plus, la sonnette d’alarme. Leurs revendications ? La mise en place d’une loi cadre pour protéger la femme marocaine de toutes les violences qu’elle peut subir (violence conjugale, harcèlement sexuel, viol, mariage des mineures…). Une loi pour laquelle elles se battent depuis presque dix ans.

 

Il était une fois la Moudawana

En 2004, le Maroc adopte une nouvelle Moudawana, applaudie par les mouvements féministes, qui luttaient depuis les années 1970 pour la révision du Code de la famille. Mais les associations féministes ne se sont jamais endormies sur leurs lauriers, bien au contraire. Très vite, elles ont continué à appeler à la mise en place d’une loi spécifique pour protéger les femmes contre toutes formes de violence. Sous le gouvernement Jettou, elles élaborent une proposition de projet de loi allant dans ce sens. “A l’époque, Yasmina Baddou, secrétaire d’Etat au ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité, avait accepté nos propositions. Mais lorsque le gouvernement a changé en 2007, il a fallu tout reprendre à zéro”, se rappelle Najat Razi, présidente de l’Association marocaine pour les droits de la femme (AMDF). Lorsqu’en 2007 Nezha Skalli reprend ce portefeuille ministériel, elle essaie de poursuivre le projet. Sauf que les choses s’avèrent plus difficiles que prévu. “Nous nous sommes très vite rendu compte que nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes que le ministère. Nezha Skalli voulait limiter cette loi à la violence dans le cadre conjugal, mais pour nous, c’était très réducteur”, poursuit la militante associative.

Entre 2008 et 2010, la presse annonce plusieurs fois que cette loi, ainsi qu’une autre sur le harcèlement sexuel, est sur le point d’être déposée au secrétariat général du gouvernement. Malheureusement, rien n’a été fait. “Un retard injustifiable, surtout que le Maroc est signataire depuis 1993 de la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des femmes (CEDAW)“, affirme Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique pour les droits de la femme (LDDF).

 

Ping-pong ministériel

La raison de ce retard ? Pour l’ancienne ministre Nezha Skalli, “il y a eu un amalgame durant cette période. Nous avions proposé une révision de certains articles du Code pénal liés à la violence contre les femmes, pas un nouveau projet de loi. Mais les choses n’ont pas avancé, puisque cette révision entre dans le cadre de la réforme de la justice, qui est un énorme chantier”, explique-t-elle. Selon Bassima Hakkaoui, l’actuelle ministre de la Famille, “un brouillon de projet de loi a effectivement été préparé par le gouvernement précédent, mais il est malheureusement resté bloqué dans une série d’allers-retours entre notre ministère et celui de la Justice. Nous en avons repris les grandes lignes, que nous allons soumettre au parlement”.

Ce projet est actuellement entre les mains d’une commission composée de cadres issus des deux ministères. Mais cette initiative est loin de rassurer les associations féministes, qui appellent le gouvernement Benkirane à prendre des mesures urgentes depuis l’affaire du suicide d’Amina Filali, en mars 2012. “Nous n’avons aucune idée du contenu de cette loi, vu que le nouveau ministre ne nous a jamais contactés. Tout ce que nous savons, nous l’avons appris à travers les déclarations de Bassima Hakkaoui dans les médias. Ce n’est pas normal, surtout que l’article 12 de la nouvelle Constitution donne le droit à la société civile de participer à ce genre de prise de décision”, regrette Fouzia Assouli. Autre point gênant, “le fait que le ministère de la Santé ne soit pas impliqué, alors qu’il devrait absolument l’être”, explique la militante.

 

No woman no cry

Ce que les mouvements féministes attendent de ce nouveau projet de loi ? Qu’il contienne toutes les recommandations faites ces dernières années par les différentes associations que compte le pays. “Nous réclamons une loi qui protège la femme marocaine, qu’elle soit mariée, célibataire, mineure ou handicapée, contre la violence physique, psychologique et économique, dans la sphère privée mais également dans l’espace public”, explique Najat Razi. Même son de cloche du côté d’Amina Bouayach, qui insiste aussi sur le fait “qu’il faut mettre l’accent sur la prévention et mettre en place des mesures légales de proximité pour lutter contre la violence sur le terrain”. Mais le tableau est-il aussi noir ? Rien n’a été vraiment accompli durant ces dix dernières années ? “Quelques avancées sont à noter : la multiplication des centres d’écoute et d’hébergement, ainsi que la mise en place de cellules d’urgence dans quelques hôpitaux et tribunaux. Mais ce n’est pas suffisant car ces efforts n’ont jamais été institutionnalisés, ni appliqués dans tout le Maroc”, analyse Fouzia Assouli. Un grand chantier attend donc Bassima Hakkaoui. Surtout qu’elle devra prouver par le biais de cette proposition de loi la volonté du gouvernement islamiste d’octroyer plus de droits à la femme marocaine. Ce dont une partie de la société civile doute profondément, surtout après les dérapages dans les médias de Bassima Hakkaoui et du ministre de la Justice, Mustafa Ramid, lors de l’affaire Amina Filali.

 

Code pénal. En attendant Ramid…

Actuellement, le Code pénal, qui date de 1962, est perçu par les militantes féministes comme étant “en déphasage total avec les droits humains universels, puisqu’il ne reconnaît pas la violence liée au genre”, précise Fouzia Assouli. Amnesty International partage également ce point de vue, puisque l’ONG vient de publier un communiqué où elle qualifie le Code pénal marocain “d’instrument de discrimination contre les femmes”. Sa révision donc est l’une des revendications principales des associations de défense des droits de l’homme, et constitue l’une des grandes priorités du ministère de la Justice en ce moment. Un travail colossal, lancé en 2010, mais dont les articles seront être modifiés petit à petit. C’est ce qui devrait arriver à ceux concernant les droits des femmes. “Dès qu’elle sera votée par le parlement, la loi sur laquelle nous travaillons devrait être intégrée directement dans le Code pénal”, explique Bassima Hakkaoui. Quant au tristement célèbre article 475, permettant à toute personne ayant violé une mineure d’échapper aux poursuites judiciaires en l’épousant, il devrait être parmi les premiers à être modifiés en 2013. Fin janvier, une proposition d’amendement a été introduite au sein de la commission de la justice et de la législation de la Chambre des conseillers, et devrait été votée prochainement par les deux chambres du parlement.

 

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