Cinéma. Tous fous d’Allah ?

Ces dernières années, l’islamisme est devenu une thématique récurrente dans les films marocains. Sommes-nous sur les pas de l’Egypte où les opus qui n’évoquent pas les Frères musulmans sont très rares ? Décryptage.

Ces dernières années, et en particulier depuis les attentats du 16 mai 2003, plusieurs réalisateurs ont choisi de faire des films zoomant sur l’islamisation de la société marocaine. Parmi eux, Casablanca day light (2004) de Mostafa Derkaoui, Tu te souviens de Adil ? de Mohamed Zineddaine (2008), Mort à vendre de Faouzi Bensaïdi (2011) et, plus récemment, Les Mécréants de Mohcine Besri, ou encore Les chevaux de Dieu de Nabil Ayouch (dans les salles à partir de début février). Et même lorsqu’il n’est pas le sujet principal, le conservatisme religieux est abordé en filigrane dans plusieurs long-métrages, comme c’est le cas dans Amours voilées de Aziz Salmy, ou plus récemment dans Femme écrite, de Lahcen Zinoun. Mais pourquoi les réalisateurs portent autant d’intérêt à ce phénomène de société ?

 

Invitation au débat

“Le cinéma est comme un arc tendu qui vibre au rythme de sa société. C’est donc normal que l’islamisme soit abordé d’une manière ou d’une autre dans les films des réalisateurs marocains”, affirme Noureddine Saïl, directeur du Centre cinématographique marocain (CCM). Une chose est donc certaine, si nos cinéastes ont décidé de s’intéresser à ce thème, c’est parce qu’ils savent qu’il touche énormément les Marocains, et qu’il est toujours au cœur de l’actualité. Deux facteurs qui ont toujours été primordiaux à leurs yeux dans le choix de leurs thématiques (voir encadré). Et l’islamisme concerne de près ou de loin tout le monde. “On ne peut pas faire des films qui se déroulent dans les années 2000 sans parler des barbus. Nous ne pouvons pas les exclure de nos œuvres puisqu’ils existent en chair et en os dans nos vies. Ils font partie du décor, qu’on les aime ou pas. Ce serait vraiment hypocrite si nous les occultions de nos films”, affirme le réalisateur Mohamed Achaour, qui travaille actuellement sur son long-métrage Once upon a father, où l’islamisme est un des thèmes importants. Pour Nabil Ayouch, il est à la fois important et naturel que les réalisateurs travaillent sur ce sujet. “Il me semble logique que les réalisateurs marocains parlent d’islamisme. Les Américains le font régulièrement, alors pourquoi pas nous ? Nous avons le droit de donner notre point de vue sur un sujet qui touche autant”, explique-t-il. Même son de cloche chez Mohcine Besri : “J’ai réalisé Les Mécréants parce que j’avais envie de traiter ce sujet de notre point de vue, loin de la vision occidentale de l’islamisme qui, à mon sens, est loin de la réalité et qui n’apporte rien au débat vu qu’elle est elle basée sur des préjugés”.

 

Entre humour et hyper-réalisme

S’ils sont plusieurs réalisateurs à avoir décidé de faire de l’islamisme leur principale thématique, ils sont loin d’avoir choisi la même approche. Et tant mieux pour le public marocain. Le réalisateur Brahim Chkiri a, par exemple, décidé de parler d’islamisme avec humour. Road to Kabul, qui a cartonné dans les salles obscures en 2012, est un film comique qui se déroule en Afghanistan. Ses personnages délirants se retrouvent là-bas par hasard, et sont obligés de devenir mollahs. Mais la grande majorité des cinéastes préfèrent rester dans un registre plus réaliste, en essayant de représenter de la manière la plus crédible possible leurs personnages. C’est le cas de Nabil Ayouch, qui a commencé à travailler dès 2008 sur Les chevaux de Dieu. Un long-métrage inspiré des attentats du 16 mai, et qui lui a pris plusieurs années de réflexion. “C’est un sujet très sensible, et je ne voulais pas que mes personnages soient des caricatures grotesques d’islamistes, comme c’est souvent le cas dans le cinéma égyptien”, souligne-t-il. Pour cela, il lit énormément de thèses et d’études sur le sujet, visionne des heures et des heures de vidéos de discours ou encore d’appels au jihad. Il s’entretient avec plusieurs islamistes, et effectue même des séances de travail avec le cheikh salafiste Mohamed Fizazi. Le cinéaste ne veut rater aucun détail qui pourrait ne pas donner une représentation “juste” des islamistes. Il va même jusqu’à “analyser leur manière de s’asseoir, de prier ou encore de se dire bonjour”. Mohcine Besri, lui, choisit une autre approche : “Le bagage intellectuel était utile mais devait rester en arrière plan. Les Mécréants est avant tout une fiction centrée sur le côté psychologique des personnages”.

 

Un certain regard

Dans Mort à vendre, Les Mécréants ou encore Les chevaux de Dieu, les personnages islamistes sont loin des clichés des combattants armés ultra-violents du Hamas ou du Hezbollah. Le spectateur est plongé dans leur psychologie et leurs sentiments, et peut même ressentir de la compassion pour eux. “Beaucoup m’ont dit qu’ils étaient gênés par le fait que les personnages islamistes de mon film soient trop humains. Mais, en général, ces remarques venaient de personnes connaissant très peu le sujet, et qui se basent sur ce qu’ils voient dans les médias. Mes personnages sont simplement humains, comme nous le sommes tous”, explique Mohcine Besri. Mais dans le cas de Nabil Ayouch, la situation est un peu plus délicate, vu que son film est inspiré de faits réels, qui ont profondément traumatisé la population marocaine. “Je ne voulais pas désincarner mes personnages, les représenter de façon monochrome. Mon film porte tout d’abord sur la condition humaine. Sur des gamins de Sidi Moumen qui, un jour, ont décidé de devenir des bombes humaines”, précise le réalisateur. Mais humaniser des islamistes radicaux n’est-il pas un terrible acte de normalisation ? “Je comprends qu’on me reproche de les humaniser. Mais pour moi, en essayant de comprendre, on ne pardonne pas. Le propos de mon film n’est pas d’excuser leurs actes, mais de comprendre d’où ils viennent. C’est ce qu’il faut faire si l’on veut que cela ne se reproduise plus”, poursuit-il. Une approche intéressante et analytique, qui devrait être adoptée par d’autres réalisateurs. Parce que, comme l’explique le critique de cinéma Hamadi Guirroum, “le cinéma marocain ne doit plus avoir pour seul but de distraire le spectateur. Il doit le pousser à réfléchir, à se poser des questions sur sa société”.

 

Tendance. Jamais en dehors de l’actualité ?

 

Au début des années 2000, lors de la création de l’Instance équité et réconciliation, plusieurs films reviennent sur les années de plomb. Quelques temps plus tard, c’est au tour des films sur la condition féminine de faire fureur, juste après la réforme de la Moudawana. Et à la fin des années 2000, c’est l’immigration clandestine qui devient le sujet favori des réalisateurs marocains. Le cinéma marocain fonctionne-t-il donc par cycles thématiques ? “Le gros problème de notre cinéma, c’est qu’il est toujours intimement lié à l’actualité. Beaucoup de réalisateurs ont tendance à se prendre pour des journalistes, et ne prennent jamais le temps pour avoir assez de recul. C’est pour cela, par exemple, que tous les films sur les années de plomb sont malheureusement superficiels et sans aucune émotion”, analyse le critique Hammadi Guirroum. Mais pourquoi cette envie d’accompagner l’actualité coûte que coûte ? “Certains réalisateurs sont surtout à la recherche de thèmes à la fois provocateurs et vendeurs, qui ont de fortes chances d’intéresser à la fois les spectateurs et les festivals de cinéma”, souligne le critique.

 

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