Affaire Servaty, ce n’est pas fini !

Huit ans après les faits, le procès de Philippe Servaty, alias le “pornographe d’Agadir”, poursuivi pour débauche et viol de mineure, s’est ouvert en Belgique. Le point sur un scandale qui a ébranlé le Maroc.

 

Au Maroc, tout le monde ou presque se rappelle de cette histoire. Pourtant, les faits remontent à 2000 : Philippe Servaty, alors journaliste pour le quotidien belge Le Soir, se rend à Agadir afin d’approcher des femmes dans le but d’avoir des relations sexuelles avec elles. Il leur promet un bel avenir et des papiers pour la Belgique. Mais il n’en est rien. L’homme les utilise pour assouvir ses fantasmes et les prendre en photo dans des positions dégradantes. Plus tard, il diffuse les clichés sur Internet sans masquer le visage de ses conquêtes et sans avoir demandé leur accord. Très vite, des internautes marocains gravent les photos sur CD et les mettent en vente dans la rue. Parmi 80 femmes, 13 décident de porter plainte mais la justice marocaine les jette en prison, tandis que Servaty est autorisé à quitter le pays. Aujourd’hui, c’est au tour de l’ex-journaliste de rendre des comptes à la justice belge puisqu’il est poursuivi pour “entraînement à la débauche et à la prostitution d’une mineure”, “viol technique sur mineure de moins de 14 ans, même dans le cas où elle aurait été consentante”, “distribution et publication d’images pornographiques qui mettent en scène une mineure” et “traitement inhumain et dégradant de trois victimes dont les photos ont été publiées sur Internet”.

 

Destins brisés

“Les victimes n’ont pas oublié. La douleur est toujours présente”, déclare Abderrahman  El Yazidi, président de l’association Anaruz qui soutient les victimes. L’homme a décidé de prendre leur défense alors que la majeure partie de la société a préféré les traiter comme des coupables. Lorsqu’on lui demande s’il est possible de parler aux jeunes femmes pour savoir ce qu’elles sont devenues, Abderrahman hésite et répond à demi-mot qu’il ne préfère pas. Il continue de les protéger car il sait qu’elles sont détruites : “Elles ne veulent pas parler de cette histoire, elles veulent pouvoir être oubliées”. Le droit à l’oubli, voici le principal souhait de ces femmes qui n’arrivent pas à reconstruire leurs vies. La société, les voisins, les proches ou encore les éventuels employeurs, tous ont eu vent de cette affaire et ont même pu avoir accès aux photos. Une tache indélébile dans leur parcours. 

Il y a quelque temps, l’institutrice âgée d’une quarantaine d’années, qui était la première à avoir porté plainte contre Philippe Servaty, a réussi à retrouver un emploi dans une école privée près d’Agadir. La directrice de l’établissement avait décidé de la juger uniquement sur son CV. Jusqu’au jour où la mère d’un élève l’a reconnue : “Elle l’a menacée de rameuter tous les parents si elle ne partait pas d’elle-même. La directrice a dû la licencier à contrecoeur. Depuis, elle a quitté le pays”, explique El Yazidi. La société ne pardonne pas aux victimes, pire, elle se déchaîne contre elles. “La plupart des filles étaient issues de milieux pauvres. Elles n’ont ni travail, ni mari. Les gens n’acceptent pas le fait qu’elles aient pu avoir des relations hors mariage. Mais Servaty leur faisaient croire qu’il allait se marier avec chacune d’entres elles”, poursuit le président d’Anaruz. D’autres ont réussi à trouver un travail, notamment dans une usine d’anchois de la ville, ou à fonder une famille. Mais cela reste des cas exceptionnels. “La majorité n’arrive pas à décrocher un emploi ni à avoir de vie sociale. Il y a même des filles qui ont fui Agadir et qui ne sont jamais revenues”, déplore El Yazidi.

 

La complainte du coupable

L’accès à un email, daté du 21 mai 2007, envoyé par Philippe Servaty à la sénatrice belge Fatiha Saïdi, qui a décidé de prendre position pour les victimes, nous a permis d’en savoir un peu plus sur l’état d’esprit de l’ex-journaliste. Poussé vers la sortie du quotidien Le Soir, puis du parlement bruxellois (où il a été engagé après les faits), Servaty affirme qu’une cabale a été lancée contre lui : “J’ai la conviction qu’on semble attacher beaucoup plus d’importance à me maintenir dans la déchéance sociale, et donc à perpétuer mon insolvabilité financière, qu’à essayer d’emprunter une voie médiane visant à réparer une injustice”, écrit-il. S’il accepte d’avoir une responsabilité morale dans cette affaire et s’il reconnaît que les jeunes femmes ont connu un “triste sort”, il rejette une partie de la faute sur la société et la mentalité marocaines . Il va même jusqu’à la comparer à la société iranienne, qu’il juge plus clémente : “Je me permets de vous signaler (…) qu’en Iran, pays réputé beaucoup plus rétrograde sur le plan des mœurs que le Maroc, une affaire récente assez similaire à la mienne a conduit à l’emprisonnement du photographe (qui était iranien) alors que la femme photographiée nue (de son plein gré), Iranienne elle aussi, a échappé à toute peine de prison…”. Servaty qualifie ses actes “d’errements sexuels qui ont provoqué des conséquences dramatiques pour les jeunes femmes”. Par contre, il affirme ne pas avoir commis de viol sur mineure. Toujours dans son mail, l’homme explique avoir eu la volonté de réparer ses actes en versant une compensation financière aux victimes. Du reste, Servaty pense que cette histoire ne connaîtra pas de fin : “Tout cela va peut-être s’enliser pendant des années sans aucune porte de sortie honorable pour personne”.

 

L’issue d’une longue affaire

“Le procès de Philippe Servaty s’ouvre très tard, mais nous avons déjà beaucoup de chance qu’il ait lieu”, déclare la sénatrice socialiste Fatiha Saïdi. Cette Belge d’origine marocaine a, dès le début du scandale, pris parti pour les jeunes femmes victimes de Servaty. Elle s’est rendue à Agadir en 2005 pour les rencontrer et a fait entendre sa voix en Belgique pour que Servaty soit jugé. Mais cela n’a pas été pas chose aisée, les évènements ayant eu lieu au Maroc et étant déjà jugés par la justice marocaine. Le seul élément du dossier qui a permis l’ouverture du procès est le fait que Servaty a eu des relations sexuelles avec une fille mineure (13 ans) à l’époque des faits (2000-2004). Ensuite, Redwan Mettioui, avocat au Barreau de Bruxelles, qui s’est constitué partie civile pour représenter les victimes, a pu faire jouer la compétence universelle.

Après deux instructions d’audience, dont la première a eu lieu le 3 décembre 2012 et la seconde le 8 janvier 2013, le Parquet a requis une peine de deux ans, avec possibilité de sursis, et une amende (dont le montant reste à déterminer) à l’encontre de Philippe Servaty. Une peine jugée “légère et en deçà de nos espérances” selon Redwan Mettioui, d’autant qu’au cours du procès, le chef d’inculpation concernant le “viol sur mineure” a été remplacé par “attentat à la pudeur”. Le jugement sera prononcé le 19 février et le tribunal n’est pas obligé de répondre favorablement à la requête du procureur.

 

 

Portrait. Docteur Jekyll et Mister Hyde

L’homme était marié et père d’un enfant. Il a travaillé au sein de la rédaction du quotidien belge Le Soir durant sept ans, dans la rubrique économie/finance. A cette époque, c’est un journaliste respecté et considéré comme l’un des meilleurs spécialistes du pays. “Tranquille, poli, discret”, tels sont les mots utilisés pour le décrire. Avec son petit gabarit, sa voix fluette et son sourire sympathique, rien ne laisse deviner son côté sombre, sa double vie. Sur Internet, il se fait appeler Belguel. Il publie des dizaines de photos à caractère pornographique sur des forums internationaux où il apparaît masqué via des logiciels de retouche. Mais les filles avec lesquelles il pose, elles, ne le sont jamais. Depuis le scandale d’Agadir, Servaty est interdit d’entrée au Maroc. Sur d’autres forums, ce dernier laisse entendre qu’il a commis les mêmes actes au Cameroun, au Ghana ou encore en République dominicaine.

 

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