Cinéma. Caméra contestataire

Le premier documentaire de Nadir Bouhmouch, My Mahkzen and me, qui zoomait sur le M20, avait produit un énorme buzz sur la Toile. Aujourd’hui, il s’apprête à sortir un nouveau film sur l’affaire Amina Filali. Rencontre avec un réalisateur très engagé.

 

Nadir Bouhmouch a 21 ans. Cheveux longs frisés, bandana vissé sur le crâne et carrure de sportif, le jeune homme a tout d’un surfeur. La glisse, c’est bel et bien l’une de ses passions mais, avant tout, il est cinéaste et militant engagé. Nadir se décrit d’ailleurs comme un social-démocrate “à la scandinave”. Rien que ça ! Le bonhomme manie la darija et le français avec aisance mais préfère l’anglais. Normal, il étudie l’audiovisuel avec une spécialité en sécurité internationale et résolution des conflits, à la San Diego State University en Californie, depuis 2009. Président du groupe Amnesty International de son établissement, Nadir est un hyperactif qui n’a pas la langue dans sa poche. Il s’exprime à coups de métaphores mordantes et de citations d’Albert Camus ou de Jean-Jacques Rousseau. Mais, au-delà de son phrasé qui ne manque pas de style, c’est à un activiste que nous avons affaire puisqu’il s’est déjà fait remarquer avec la sortie de son documentaire My Mahkzen and me.

 

Tournage sous haute tension

Printemps 2011, le Maroc est sous tension. Le peuple, et notamment le Mouvement du 20 février, manifeste pour obtenir une réforme de la Constitution. Nadir, qui étudie aux Etats-Unis, revient au pays pour passer deux mois de vacances auprès de sa famille. Les pieds sur le sol marocain, il réalise alors que ce qu’il se passe chez lui est historique : “J’ai décidé de filmer les militants du M20 car les médias marocains en parlaient peu. Pourtant, ces jeunes ont secoué les fondations politiques du pays, ils ont montré qu’il était possible de faire entendre sa voix”. D’après Nadir, les médias cautionnent le régime. Son principal objectif sera donc de montrer le point de vue du mouvement. Pour commencer, le jeune réalisateur filme tout ce qui passe dans le champ de sa caméra. Il n’a pas de plan très précis : “Je n’avais pas de scénario, il me fallait donc beaucoup de matière pour avoir un résultat”. Il poursuit : “Plus je filmais, plus je m’intégrais dans le mouvement et plus je découvrais mes  propres opinions politiques vis-à-vis du régime”. Au sein des militants, il est bien accepté, malgré quelques railleries sur sa coupe de cheveux : “Ils m’ont fait confiance, m’ont pris au sérieux et se sont investis pour la réalisation de ce documentaire”, souligne-t-il. En février 2012, à l’occasion du 1er anniversaire du M20, My Mahkzen and me est mis en ligne sur Internet. C’est un succès. Dans le film, militants et citoyens prennent tour à tour la parole pour dénoncer la corruption, la mainmise du pouvoir sur toutes les affaires du pays et la pauvreté qui sévit au Maroc. Des images montrent la violence des policiers à l’égard des manifestants. C’est inédit : “Aux Etats-Unis, mes proches étaient surpris. Ils croyaient dur comme fer à l’exception marocaine. Ils ont vite compris que c’était un leurre et que la démocratie n’existait pas”, se souvient-il.

 

La naissance d’une vocation

Nadir a grandi dans une famille aisée. Son père est parti de rien mais s’est enrichi dans l’immobilier. A la maison, on ne parle pas de politique : “Mon père ne m’a jamais dit pour qui il votait et ma mère ne vote jamais. Ils ne m’ont pas encouragé à militer, au contraire”. Malgré son origine sociale privilégiée, le jeune homme sait ce qu’est la pauvreté. Ses proches sont issus d’un milieu modeste et la plupart de sa famille élargie vit encore dans la misère. Enfant, les mauvaises conditions de vie de son entourage ne le choquaient pas vraiment. C’était même plutôt banal. Ce n’est qu’en grandissant qu’il comprend que ça ne l’est pas : “Bien avant le Printemps arabe, j’étais conscient de la pauvreté généralisée, du manque d’éducation de la société et de l’incapacité des politiques à changer quoi que ce soit”. Seulement voilà, Nadir a grandi avec ces problèmes et s’y était habitué. “À la télévision, je voyais des publicités qui disaient que le Maroc était le plus beau pays du monde. Le roi se déplaçait partout pour des actions de charité et les élites annonçaient des changements positifs”. En 2009, Bouhmouch obtient son baccalauréat à l’Ecole américaine de Rabat, puis s’envole vers les Etats-Unis pour entamer des études supérieures dans l’audiovisuel. Un domaine qui lui offre la liberté de s’exprimer. Au gré des rencontres et de son expérience américaine, l’esprit de Nadir s’ouvre au monde et il comprend alors que de nombreux tabous demeurent encore dans son pays d’origine. Et c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’il assiste aux bouleversements qui secouent le monde arabe. Mais lorsqu’on lui demande si ce n’est pas un peu facile de critiquer lorsqu’on est loin, il répond très simplement : “Je suis au Maroc trois mois sur douze. A chacun de mes séjours, je passe devant les autorités et me plie à leur bon vouloir. Quand je filme, je le fais au Maroc, et je me mets donc directement en danger”.

 

Un futur Michael Moore ?

Actuellement, Nadir travaille sur un deuxième projet de docu : “Pour l’instant, le film est en phase de postproduction. Il ne sortira pas avant fin janvier 2013”.  Par contre, ce qu’il peut déjà nous communiquer, c’est le titre : 475, When marriage becomes punishment. On l’aura deviné, le documentaire revient sur l’affaire Amina Filali et se penche sur les violences subies par les femmes, notamment le viol. Le tournage a eu lieu cet été, au Maroc, et le jeune homme n’a pas chômé. Il a réussi à interviewer les parents d’Amina Filali, l’avocat Omar Bendjelloun et Khadija Riyadi, la présidente de l’AMDH (Association marocaine des droits de l’homme).  “J’ai voulu m’entretenir avec Mustafa Ramid, le ministre de la Justice, et Bassima Hakkaoui, la ministre de la Solidarité, de la Famille et de la Femme, mais ça n’a pas marché. Lui a refusé, et elle ne répond jamais au téléphone”. Pour Nadir, le 7ème art est une arme puissante capable de bouleverser des gouvernements et des pays entiers : “Les médias ont étouffé le M20. Le pouvoir est devenu plus fort qu’avant, mais nous ne baisserons pas les bras”, conclut le jeune homme, plus déterminé que jamais.

 

Zoom. Genèse d’un documentaire

Bien avant qu’il se lance dans le docu militant, durant l’été 2010, à l’aéroport de Fès, Nadir Bouhmouch a dû affronter les autorités qui lui ont confisqué, sans explications aucune, sa caméra. Il a ensuite dû batailler pendant plusieurs semaines, notamment avec le CCM, avant qu’on daigne la lui rendre. Suite à cette mésaventure, il a d’abord pensé faire un documentaire sur le fonctionnement du Centre cinématographique marocain. Puis, le Printemps arabe étant passé par là, ce sera finalement le M20 qu’il décidera de filmer, dans un docu intitulé My Makhzen and me. Mais si le titre est provocateur, il n’est pas toujours compris. Pour le choisir, Nadir Bouhmouch s’est inspiré de Jean-Jacques Rousseau et de son idée selon laquelle un “contrat social est passé entre le peuple et ceux qui ont le pouvoir”. My Makhzen and me se veut donc ironique puisque, d’après le réalisateur, “le pouvoir marocain ne représente pas le peuple, il viole ses intérêts. Je dis que c’est  “Mon” Makhzen car le gouvernement devrait appartenir au peuple”. En termes de coût, le film lui est revenu à peine à un millier de dirhams. Pour y arriver, Nadir a fait appel au système D. Il s’est servi de son propre matériel. Pour ne pas se faire repérer lors des manifestations, il a utilisé une caméra plus petite qu’un téléphone et un ami s’est occupé de faire les arrangements sonores.

 

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