Cinéma. “Lui c’est lui, moi, c’est moi”

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Lunettes sur le nez, Noureddine Lakhmari affronte, avec le sourire, le soleil du matin. Pendant que la ville et ses attachées de presse s’activent au rythme du festival de Marrakech, Nabil Ayouch se joint à son ami, au bord d’une piscine d’hôtel délicieusement calme. Du café, des souvenirs évoqués et l’entretien avec les deux réalisateurs marocains en compétition officielle démarre.

 

 

Nabil Ayouch, Noureddine Lakhmari, que représentent pour vous vos deux derniers longs-métrages dans votre filmographie ?

 

NL Zero m’est important dans le sens où il est dans la continuité du volet que je fais sur Casablanca. Il est plus personnel que Casanegra, parce que plus fidèle à ma vision de la société marocaine d’aujourd’hui, où un travail sur soi est vital et nécessaire.

 

NA On me parle beaucoup de consanguinité entre Ali Zaoua et Les Chevaux de Dieu. Il y a des points communs entre les deux, c’est vrai. Mais avec ce dernier, j’ai atteint une forme de maturité cinématographique. Ali Zaoua est un conte urbain, où des gamins avaient un rêve, celui d’enterrer leur meilleur ami. Peut-être que dans Les Chevaux de Dieu, j’ai une part de naïveté ou d’insouciance qui s’est évaporée. Entre les deux, il y a eu le 11 septembre 2001. Les Chevaux de Dieu est un film plus dur, plus en prise avec la réalité. Les gamins, cette fois-ci, portent un cauchemar, creusent leur propre tombe.

 

 

Quel regard portez-vous sur l’univers cinématographique de votre confrère ?

 

NL Dans le travail de Nabil, la notion d’espace est fondamentale. Ses personnages ne sont jamais posés n’importe où. Il met le plan au service de l’histoire. Et puis, il y a quelque chose de très personnel qui me touche chez lui, en plus d’une vraie connaissance du côté sombre de Casa, que l’on découvre avec Ali Zaoua et que l’on retrouve dans Les Chevaux de Dieu. Il a beaucoup de profondeur, de sincérité et d’honnêteté, et ça se voit à l’écran.

 

NA J’ai découvert Noureddine en 1995 à Tanger, où l’on s’est retrouvés, dans le cadre d’un festival, entre réalisateurs marocains de la diaspora. Il a une manière de raconter l’histoire extrêmement juste. Lorsqu’il s’est réinstallé au Maroc, il y a eu une éclosion dans son cinéma, avec un premier film touchant, puis Casanegra, ce monde de la rue et cette réalité dans laquelle il a décidé de venir baigner, comme moi. C’est un parcours cohérent et plein de sens, dans son cinéma et son langage.

 

 

Pensez-vous être les produits d’un cinéma tiers-mondiste ?

 

NA Je crois qu’on est exactement l’inverse. Ce n’est pas parce qu’on vient d’un pays en voie de développement qu’on fait un cinéma sous-développé. Au contraire, il y a une volonté aujourd’hui, de la part de cette jeune génération de cinéastes marocains, de briser ses chaînes. Pour certains, on n’a pas grandi ici, ni connu la période sombre du Maroc. Je crois qu’on s’est naturellement affranchis d’une certaine forme d’autocensure, ce qui nous a permis de dire les choses avec réalisme et sincérité, en tout cas comme on les voit et comme on les pense. Un cinéma pour moi résolument moderne, loin d’une certaine image que pourraient attendre les Occidentaux de nous.

 

NL Le cinéma est universel. Peut-être que l’on n’a pas les mêmes moyens, la même industrie, mais nous sommes là. Aujourd’hui, on n’a plus de complexes : on pose notre caméra là où on veut et on ose beaucoup plus. Certes, je n’ai pas Angelina Jolie et Brad Pitt, mais je vais les fabriquer. Ça prendra du temps, une génération peut-être, mais je suis fier aujourd’hui de dire que j’appartiens à ce jeune cinéma marocain.

 

 

Le cinéma marocain gagne en audace et en polémiques. Est-ce là la recette d’un bon film ?

 

NA Ce n’est pas à l’audace ou à la capacité de briser des tabous qu’on peut mesurer la qualité d’un film. Le principal critère, pour moi, est la capacité à trouver sa place. N’importe qui aujourd’hui peut prendre une caméra et faire un film qui sera vu par des milliers de gens sur Internet. Ce qui fait votre intérêt, c’est votre ancrage et votre identité, votre capacité à créer une connexion avec le public. On crée notre propre langage, nos propres codes et référents, en rapport avec la société dans laquelle on évolue. Dans l’échiquier du cinéma mondial, j’ai l’impression que le Maroc est en train de se dessiner une belle place.

 

NL Dire que la violence, le sexe ou les tabous sont une recette pour le cinéma, c’est être à côté de la plaque. On nous a parfois reproché d’utiliser des thèmes “vendeurs”. Ce n’est pas vrai. Toutes ces choses existent dans notre société. Le cinéma marocain est de plus en plus décomplexé, il n’a plus peur de rien. La société n’a pas besoin de nous si on fait dans la langue de bois. Nos films sont une manière de dire bonjour, on se regarde. Dire que nos films font honte au pays, c’est malheureux, parce qu’on rate le débat. Au-delà des dialogues qui ne plaisent pas à tout le monde, des scènes osées, il y a du vrai cinéma, une vraie histoire, de vraies émotions.

 

 

Est-il plus simple de transgresser le tabou du nu et du sexe, que celui de la religion, de Dieu et son prophète ?

 

NL Je pense que notre rôle est de tout questionner. La religion est évidemment là, omniprésente, mais c’est avant tout une affaire personnelle. Il y a des cinéastes qui lui accordent une place centrale dans leurs œuvres. Moi, je n’en ressens pas le besoin pour le moment. Ce n’est pas elle qui m’intéresse et m’inspire aujourd’hui, mais plutôt le rapport de l’individu à sa société et sa rue.

 

NA La religion est un sujet qui fait peur parce qu’il s’est approprié l’espace public. Pour un cinéaste, le danger et le risque est de donner la sensation aux Marocains de parler à chacun d’eux-mêmes. On devrait être capable de parler de notre rapport à la religion parce qu’elle est devenue centrale dans notre société, de manière aussi libre que l’on parle de n’importe quel sujet. On ne parle pas au nom de toute la population marocaine. Le film représente celui qui l’a fait. Les Chevaux de Dieu traite de la religion, du point de vue de la manipulation par les textes, mais je ne l’ai pas inventée. C’est comme ça que des gamins de 20 ans, le 16 mai 2003, sont allés se faire sauter et ont tué avec eux des dizaines d’innocents.

 

 

Etes-vous plus aux aguets quant à votre liberté de créer depuis que les islamistes sont au pouvoir ?

 

NL On a été très critiqués par les islamistes, qui ont qualifié nos films, entre autres, de sionistes… En avouant, paradoxalement, ne pas les avoir vus. On ne peut pas prendre ces gens au sérieux lorsqu’ils parlent de la sorte. La culture est un gros problème pour eux. Ils jouent la carte du populisme en criant à l’immoralité et à la débauche. Ces attaques ont été faites lorsqu’ils étaient dans l’opposition. Aujourd’hui, ils sont moins agressifs. Il est de leur droit d’avoir un avis sur mon travail, mais qu’ils le voient d’abord. Quant à ma liberté, je la prends.

 

NA Je n’ai pas envie d’être dans la peur. Je pense que le PJD est un parti comme un autre. Juste après l’arrivée du nouveau gouvernement, certains se sont permis de prononcer des phrases sur l’art “propre”, sur un certain type de cinéma, que l’on voudrait familial. Au vu de la levée de boucliers de la société civile, je crois qu’ils ont vite compris quelles étaient les limites de leur terrain. Ces limites, ce sont nos acquis, ceux pour lesquels des Marocains avant nous se sont battus. Moi, je vais continuer à le faire, sans être dans l’adversité. J’ai aussi envie de faire confiance aux personnes qui nous gouvernent pour comprendre quelque chose d’essentiel : l’art et l’artiste ne se contrôlent pas. Si on décide de les censurer, c’est un combat perdu d’avance. et comme je pense que ce sont des gens intelligents, je crois qu’ils l’ont déjà compris.

 

 

Votre œuvre, et notamment vos deux derniers opus, prennent Casablanca comme cadre. Qu’est-ce qui motive cette fascination ?

 

NL Je redécouvre le Maroc à travers Casa. J’y habite, faits des rencontres et découvre quotidiennement énormément de choses. C’est une ville qui me fascine et m’effraie. J’ai l’impression que toutes les composantes du Maroc y sont. C’est quelque part mon New-York à moi. J’adore dominer Casa, mettre ma caméra où je veux. C’est un musée. On peut faire mille films sur cette ville, elle a quelque chose de magique et d’effrayant. Sa lumière est extraordinaire… On a beau vouloir la maîtriser, la mépriser et l’ignorer, elle est là, omniprésente. Et puis, j’ai cette impression de me filmer lorsque je la filme.

 

NA J’ai commencé par ne pas aimer Casa. Et puis, grâce au cinéma, et notamment à Ali Zaoua, j’ai découvert un Casa marginal, le Casa de cette armée de l’ombre, qui a des choses à raconter. Je me suis retrouvé au beau milieu de la nuit à traîner du côté de Oulad Ziane, Derb Soltane, Hay Mohammadi, Sidi Moumen. Je me suis rendu compte que c’était une ville sauvage, complètement déstructurée en termes de gestion d’espace public, de circulation. C’est catastrophique, c’est pollué, c’est le bordel. Puis je me suis rendu compte que tout ce qui m’a agressé pendant longtemps commençait à m’intéresser et à me plaire. Il y a des villes où on a l’impression d’être en face d’une femme nue, en permanence, qui vous offre tout au premier regard. Casablanca n’en fait pas partie. Il faut aller chercher la beauté et la richesse, et pour ça, il faut creuser.

 

 

Vous filmez la violence, dans tout ce qu’elle a de plus ordinaire, d’injuste et de terrible. Pourquoi ?

 

NA C’est vrai Noureddine, t’as quand même mis un mec qui avait une chignole… (Rires).

 

NL La violence fait partie de nous. La masquer serait une erreur. C’est quelque part un parti pris. Je pousse mon public au voyeurisme, à sentir à l’écran le choc de la violence. J’ai grandi dans une famille où il n’y avait pas de violence, je ne la croisais qu’en sortant de chez moi et elle m’agressait. À chaque fois que je la filme, je me demande jusqu’où je peux aller. Dans Casanegra et Zero, il y a beaucoup de violence, mais elle n’est jamais glorifiée, esthétisée ou chorégraphiée. Derrière la caméra, j’ai besoin de reconstituer cette violence, qui me fait peur et me hante, avec autant de crédibilité que possible, pour faire réfléchir le public.

 

NA Qu’on décide de la montrer ou non, la violence nous construit. Lorsque j’observe la manière dont certains parents s’adressent à leurs enfants, dont ils les traitent, les frappent parfois, je me dis que cette violence se caractérise par l’incapacité à donner de l’amour. C’est un trait que je retrouve beaucoup dans notre société. Des êtres qui grandissent sans amour ne donnent pas les mêmes êtres que ceux qui ont été capables d’en recevoir et d’en donner. Dans le bidonville où j’ai tourné Les Chevaux de Dieu, j’ai vu cette violence, étalée devant moi, quotidienne. A tel point qu’à un moment, pour moi comme pour l’équipe technique du film, elle s’est banalisée. Je trouve ça terrible.

 

 

Vous avez fait le choix de zoomer sur des antihéros. Quelle était votre intention première ? Nabil, qu’est-ce qui vous a amené à prendre de la distance pour parler des kamikazes autrement que comme des monstres ? Comment avoir juste assez d’empathie pour comprendre sans cautionner ?

 

NA J’ai toujours été extrêmement attristé par la façon dont la plupart des blockbusters américains interprètent la violence, notamment issue de l’islamisme radical. Ils ont une capacité assez phénoménale à la déshumaniser, à enlever des noms et des visages. J’ai eu envie de m’arrêter sur cette forme de violence, avec le devoir de sonder en profondeur les raisons qui font qu’un gamin peut se transformer en bombe humaine. J’ai eu envie de m’intéresser à cette genèse, à ce chemin de vie, sans faire de la violence un spectacle. C’est un peu le propos du film, de se dire que les microtraumatismes qui nous ont façonnés, creusés dans notre enfance, vont faire les adultes que l’on va devenir par la suite. Ces violences font qu’on va être un peu plus perméable que d’autres à certaines idées, idéologies. Et c’est ce rapport, construit, viscéral, organique, qui m’intéresse.

 

NL Pour moi, l’antihéros est déjà un héros. J’ai toujours été fasciné par les gens ordinaires qui font des choses extraordinaires. Ces gens qui partent de rien et qui créent quelque chose, qu’on croise sans remarquer. Mes personnages ont toujours été solitaires. Quand on rentre chez nous dormir, il y a cette armée de l’ombre qui sort et fait n’importe quoi pour survivre. À y réfléchir, ces gens-là sont d’un courage incroyable. Ils ne sont pas démissionnaires. Le Marocain, en général, ne s’aime pas assez : il laisse tout au hasard et à la fatalité, se dit qu’il y a quelqu’un,  maman, papa, Dieu ou l’Etat, qui s’occupe de nous. Il y a une telle pression sociale sur nous que le Marocain met un masque au lieu de s’atteler à son autocritique.

 

NA Ce n’est pas parce qu’on s’intéresse à cette misère et à cette violence qu’on la cautionne, encore moins qu’on essaye de l’excuser. Je ne pense pas que ce soit le rôle du cinéma ou du cinéaste de pardonner quoi que ce soit. C’est simplement une manière d’essayer de comprendre.

 

 

Vous êtes nés et avez grandi dans le Maroc de Hassan II. Que pensez-vous de celui de Mohammed VI ? Qu’est-ce qui a changé ou n’a pas changé ?

 

NA Il y a des espaces d’expression qui se sont indubitablement ouverts avec l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir —que Hassan II avait d’ailleurs amorcé à la fin de son règne, parce qu’il ne pouvait pas faire autrement— et que son fils a considérablement accentué et développé, que ce soit dans les domaines des droits civils et notamment de la femme, de la presse, ou des arts et de la culture. Evidemment, la société civile a joué un rôle dans tout ça, mais le fait d’avoir un roi sensible à tout ce qui touche à l’art, un roi humaniste, finalement, a permis de consolider ces espaces de liberté pour lesquels toute la société marocaine s’est battue. Ces espaces font aujourd’hui du Maroc un pays où il n’y a, finalement, quasiment aucun sujet qu’on ne peut pas aborder de front.

 

NL L’une des raisons pour lesquelles je suis rentré m’installer, c’est cette impression de liberté. Depuis que Mohammed VI est là, je respire, je peux créer. Alors qu’on nous parle d’art propre, une lettre royale, présentée lors des Assises du cinéma, vient dire que le cinéaste, l’artiste, est sacré et libre. Ça me rassure et me donne envie de travailler. Depuis une dizaine d’années, il y a des films qui parlent de tout. La société bouge, lentement mais elle bouge. Maintenant, c’est à nous de prendre les choses en main. Le Marocain ne peut pas attendre que le roi fasse tout. En dehors du domaine artistique, il y a encore du chemin à faire. Notamment sur les questions d’héritage et du rôle de la femme dans cette société…

 

 

Vos profils sont assez dissemblables : Noureddine est catalogué “fils du peuple” tandis que Nabil a une étiquette de “fils à papa”… Cette perception vous convient-elle ?

 

NA Je ne suis pas né avec une cuillère en argent dans la bouche et je n’ai pas grandi dans une villa à Anfa. Je suis né à une époque où mes parents étaient étudiants à Paris, à la Maison du Maroc. Mon père faisait du théâtre, et ma mère finissait ses études pour devenir professeur. J’ai grandi dans une banlieue parisienne qui s’appelle Sarcelles, qui est une ville extrêmement communautariste et violente. Quand on gagnait un match de handball, on se faisait casser la gueule par les supporters de l’équipe adverse, et quand on perdait, on se faisait casser la gueule par les nôtres. On se faisait attendre à la sortie du lycée avec une carabine… Bref, c’était une ville où j’ai appris à me battre extrêmement tôt, où je menais une vie assez modeste, de classe moyenne européenne, avec une mère qui travaillait du matin au soir. C’est au milieu de cet environnement que j’ai évolué et construit mon identité. Des gens pensent que j’ai fait mes études à Lyautey, que j’ai grandi dans un certain contexte bourgeois. C’est faux.

 

NL Le fait de dire qu’untel est un “fils du peuple” renvoie à dire qu’il a plus de mérite qu’un “fils à papa”. Il y a beaucoup de “fils du peuple” qui sont des fils à papa, très gâtés. C’est l’individu en lui-même, et ce qu’il produit, qui sont importants. Mon background et celui de Nabil sont très différents, mais ça ne veut rien dire au final. Ce qui compte, c’est le travail que nous avons fait sur nous-mêmes, nos lectures, les films dont on s’est nourri, nos expériences… Tout ce qui se reflète à l’écran. Il y a des fils du peuple tout aussi arrogants que des gens de familles aisées. Ces étiquettes ne veulent rien dire. J’ai grandi dans une famille où, même si on n’avait pas les moyens,  je n’ai jamais manqué de rien.

 

 

Considérez-vous le cinéma comme une arme politique ?

 

NA Le cinéma est nécessairement politique, qu’on le veuille ou non, parce que c’est un médium de masses. Il est capable de faire se déplacer des millions de gens, ensemble, aux mêmes endroits. Comme les meetings politiques ou les concerts de rockstars. Encore plus quand on fait du cinéma et qu’on vit dans cette région du monde, qui est en train de se construire et qui est au centre d’une actualité géopolitique brûlante. Ne croyez pas un cinéaste qui vous dit “je ne fais pas de politique”. On en fait, à notre manière, avec notre regard et nos armes.

 

NL Un cinéaste qui dit ne pas faire de politique ment. Quand on choisit la couleur, le décor, le cadrage, on est en train de décider pour le public ce qu’il va voir et penser. Le Marocain ne lit pas beaucoup, mais regarde beaucoup d’images. Il a besoin de s’identifier et de se voir. Il a besoin de héros. Les Batman, Spiderman peuvent être construits ici. Un film marocain fait plus de publicité au pays que l’Office du tourisme. Un film comme Casanegra est allé en Australie. Ali Zaoua à New York, Marock en Suède et en Norvège. On est en train de se filmer, avec beaucoup de sincérité. Il est temps que les gens qui ont les moyens comprennent qu’il est bon d’investir dans le cinéma, et que ce dernier peut être rentable. Il n’y a, à mon sens, que la culture qui peut sauver le pays.

 

NA Tous les pays à idéologie totalitaire ont essayé à un moment donné de leur histoire de domestiquer le cinéma et les cinéastes, d’en faire une arme de propagande. Ils ont tous échoué. Parce que le cinéma est une arme d’expression libre. Les seuls qui, quelque part, ont réussi cette entreprise, sont les USA, qui ont construit leur nation sur une identité et des valeurs. Le département d’Etat américain n’a pas besoin de commander des films aux majors hollywoodiennes où les bad guys sont arabes, russes ou chinois. Hollywood suit très bien se qui se passe au niveau politique et devient presque un super-ministère des Affaires étrangères américain. Il faudrait qu’on prenne conscience que la meilleure arme pour le cinéma marocain, parce qu’il est politique, n’est pas de le contrôler ou de l’assujettir, mais de lui donner de la liberté, et d’offrir de la liberté à ses artistes.

 

Nabil Ayouch. A l’écart des idées reçues

 

À 43 ans et 9 films, Nabil Ayouch en impose. Loin des idées reçues qui continuent d’être conglutinées à son image -celles du parfait petit bourgeois casablancais -, le réalisateur de Ali Zaoua, Une minute de soleil en moins et Mektoub, pour ne citer que ceux-là, n’a rien du personnage lisse et déchiffrable auquel certains s’attendent. Il suffit, pour le comprendre, de regarder Les Chevaux de Dieu, inspiré du roman de Mahi Binebine, Les Étoiles de Sidi Moumen. Prenant le parti de s’attacher aux prémices de la catastrophe, Nabil Ayouch tente, avec une sensibilité qui nous rappelle férocement Ali Zaoua, de retracer le chemin de vie de ces êtres humains derrière les détonations du 16 mai 2003. Avec énormément d’intelligence et juste assez d’empathie pour interroger les faits sans les cautionner, Nabil Ayouch livre une pièce de cinéma universel, fondée sur une réalité marocaine puissante et maîtrisée. À l’image de son réalisateur, Les Chevaux de Dieu est lucide, complexe, touchant et indiscutablement brillant.

 

 

 

Noureddine Lakhmari. Au nom de la dignité

Quatre ans après Casanegra, Noureddine Lakhmari n’a pas fini de labourer le côté sombre de Casablanca. Le natif de Safi, Norvégien de cœur (il a fait ses armes à Oslo avant de revenir s’immerger au Maroc), est désormais une référence incontournable du cinéma marocain. Avec Zero, Noureddine Lakhmari rassure : Casanegra n’était pas un succès one shot, mais bel et bien l’élan d’une cinématographie reconnaissable entre mille. Le réalisateur de 48 ans, tout en cohérence, met son art au service de son discours social : pour lui, le temps est venu pour que le citoyen se défasse du fatalisme ambiant, que l’individu remette en cause l’essaim auquel il appartient et prenne enfin son destin en main. Portés par des comédiens chargés de beauté et de talent, les personnages de Lakhmari sont faits de telle sorte qu’ils renvoient au spectateur sa propre lumière.

 

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