Tribune. Nouvelle culture aux anciens abattoirs

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Coincés entre une gare TGV et une station de tram, les anciens abattoirs, haut lieu de la culture casablancaise, font l’objet de toutes les convoitises. Attention danger !

 

D’abord l’historique. Les anciens abattoirs de Casablanca ont été fermés en 2002. L’arrêt de l’activité a déplacé, ou mis au chômage, des milliers d’employés. Les restaurants d’en face qui abattaient de la viande fraîche à toute heure, pour les travailleurs, les familles et autres “fêtards” noctambules, voyaient venir la perspective d’une reconversion au régime végétarien !

Depuis, intellectuels, politiques, artistes et promoteurs immobiliers s’intéressent au lieu. Les uns pour la préservation du patrimoine et l’édification d’un espace de création et de diffusion artistiques. Les autres pour le foncier, cinq hectares et demi de friche industrielle. Bien qu’il n’y ait plus de nourriture, les appétits s’ouvraient pour y projeter et rêver de prometteuses opérations immobilières. Les idées de projets fusaient à flot, université privée, logements sociaux, espace culturel…

Le danger de perdre, encore une fois, un patrimoine pointait son nez. Il fallait protéger le lieu. Une lettre a été adressée au roi, par feu le peintre Mohamed Kacimi. Le bâtiment fut inscrit sur la liste des monuments nationaux en 2003. Kacimi est mort et, de 2003 à 2008, il ne s’est rien passé.

En 2008, la ville de Casablanca a engagé une réflexion autour des infrastructures culturelles englobant les anciens abattoirs, l’église désacralisée du sacré-cœur et le futur grand théâtre… De ces focus-groups a émergé un collectif des abattoirs, constitué de la fine fleur de la création contemporaine marocaine en musique, danse, théâtre, arts visuels, arts appliqués, cinéma, street art, etc. Décidé de prendre en main la destinée des lieux, le collectif y organise le premier grand événement à destination du grand public et des professionnels : les Transculturelles des Abattoirs en avril 2009. Ce qui devait être initialement une expérimentation des espaces en vue de leurs activités futures de création et de diffusion artistiques, s’est transformé en un acte inaugural drainant 30 000 personnes sur 2 jours, avec une mixité des publics, inhabituelle dans les lieux culturels “conventionnels” et dans le pays. Les artistes, le public, les habitants et les commerçants du quartier ont joué le jeu, fait connaissance et se sont approprié l’espace. Quatre ans après les Transculturelles, le collectif continue à faire vivre le lieu. Il y programme des activités tout au long de l’année, pour que le lieu ne meure pas et pour continuer à démontrer aux acteurs politiques, économiques et sociaux, si besoin était, que le travail qui y est entamé représente une chance et une nécessité pour le développement du quartier et de la ville, voire de l’image du pays.

 

Tram et TGV passeront par là

A présent, les anciens abattoirs suscitent à nouveau les convoitises. L’espace redevient central avec la future gare TGV à proximité et la station tramway en face. Les appétits s’ouvrent à nouveau et les idées se remettent à fuser, les unes pour aider le projet, les autres pour le récupérer. Tout a été proposé pour le lieu : une crèche, une résidence, une piscine, etc. La dernière “trouvaille” est celle d’un hôtel et d’un restaurant gastronomique ! Soyons sérieux, ce n’est pas un hôtel qu’il faut à la “Fabrique”, c’est de continuité et de consolidation du travail effectué qu’elle a besoin. Il faut maintenant une vraie implication de la ville pour rendre le lieu sûr, en l’intégrant dans la politique culturelle de Casablanca, et en contribuant à le rendre accueillant pour ceux qui en ont besoin : le public et les professionnels de la culture. Le collectif existe, il est constitué d’artistes et de professionnels qui ont mis leur énergie, leur temps et leur talent au service de ce projet et du public. Ce projet à la chance d’être tiré par la passion de femmes et d’hommes qui militent pour un Maroc ouvert et créatif. En cas de nouvel échec, la frustration transforme la passion en résilience. Et ce serait dommage.

 

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