Jordanie. Une monarchie en danger ?

Plus que jamais, le régime jordanien semble à la croisée des chemins, acculé par un mouvement de protestation joignant revendications sociales et exigences de réformes. Zoom sur un État sous haute tension.

Des manifestants cherchant à se masser devant les portes du palais royal. Voilà qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des analystes, habitués à ce qu’en Jordanie, le roi Abdallah II ne soit pas cible de la grogne. Le 16 novembre 2012, parmi les 10 000 personnes défilant dans la capitale Amman, nombreux étaient ceux à scander des slogans bien plus radicaux qu’à l’habitude. Les manifestations sont devenues, depuis, quotidiennes.

 

La grogne sociale

Flash-back. Lorsqu’en janvier 2011, l’opposition appelle à des manifestations réformatrices, le roi change de Premier ministre, l’Etat recrute 6000 nouveaux policiers et le double de fonctionnaires, et adopte prestement une batterie de mesures économiques et sociales, parmi lesquelles une réduction des taxes sur le carburant et les produits alimentaires. Mais le 14 novembre dernier, le Premier ministre, Abdallah Nsour, annonce, pour lutter contre un déficit budgétaire de près de 3,5 milliards de dollars selon lui, une augmentation des prix du gaz domestique, de l’essence et des transports publics. Les syndicats ne tardent pas à annoncer la tenue de manifestations et l’organisation de grèves. Des militants du Front d’action islamique (FAI- Frères Musulmans) se joignent à ces marches, et son dirigeant, Hamzah Mansour, appelle le gouvernement à revenir sur ces décisions. Les islamistes, après avoir appelé à manifester pour des réformes constitutionnelles tout le long de l’année 2011, se joignent à la grogne sociale. Dans le sud du pays, qu’on a longtemps dit acquis au régime hachémite, de nombreux rassemblements, où ont été critiquées la gestion des terres collectives des tribus et l’augmentation des prix, ont dégénéré en émeutes et plusieurs personnes ont été arrêtées pour crime de lèse-majesté, un évènement plutôt rare. Entre le 16 et le 25 novembre, une personne a trouvé la mort, plus de 70 autres ont été blessées et une centaine de poursuites ont été engagées contre des manifestants ou des militants politiques, dont un cadre du FAI. 

 

Fin de l’exception jordanienne ?

Longtemps, les analystes ont dit la monarchie hachémite hors de danger. En effet, les islamistes y sont traditionnellement “participationnistes”, acceptant, bon gré mal gré, les règles du jeu politique traditionnel. Par ailleurs, le royaume bénéficie d’une aide internationale conséquente, et l’opposition est divisée entre la gauche, les libéraux, les nationalistes arabes et les conservateurs. Le roi, quant à lui, semble disposé à écouter la rue. Il a changé par cinq fois de Premier ministre depuis janvier 2011, a récemment dissout le parlement et annoncé de nouvelles élections. Et, cerise sur le gâteau, le 11 novembre 2012, un général à la tête de services des renseignements a été condamné à treize ans de prison pour corruption. C’est, pour le moins, la preuve qu’on sait, chez les Hachémites, se débarrasser des figures gênantes pour prouver sa bonne volonté. Pourtant, les évènements récents -l’arrestation de Frères Musulmans, la rencontre des revendications sociales et réformatrices, la radicalisation des slogans et l’extension des manifestations à des régions plutôt calmes- prouvent que le régime jordanien doit faire face à une fronde de plus en plus large.

 

L’heure de vérité

Selon de nombreux analystes, l’enjeu se concentre désormais autour des élections anticipées, annoncées par Abdallah II en octobre dernier et prévues pour le 23 janvier 2012. Un fiasco s’avérerait terrible pour la monarchie. Et le risque est grand : conduites dans un contexte de mouvement social, elles peuvent vite tourner à l’avantage de l’opposition et décrédibiliser le régime. Conscient de l’importance de cette échéance, le FAI a d’ores et déjà annoncé qu’il ne participerait pas au scrutin, arguant que la loi électorale favorise les défenseurs les plus intransigeants de la monarchie. Les syndicats et les organisations de gauche, quant à eux, comptent bien rester dans la rue jusqu’à cette date. Le Palais, lui, n’a pas encore montré de stratégie claire face à ce renouveau de la contestation. Visiblement, les remaniements ministériels accompagnés d’une répression de basse intensité n’ont pas fait leurs preuves. Aujourd’hui, deux ans après le déclenchement du Printemps arabe, jamais la tension n’a été si grande.

 

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer